Les deux visages de Saint-Saëns

L’automne dernier, le premier album concertant de Louis Schwizgebel, les Premier et Deuxième de Beethoven, m’avait conquis : fraîcheur du jeu, élan du clavier, les avantages de la jeunesse y rayonnaient, découvrant surtout un sacré pianiste dont le Gaspard de la nuit lors d’une Tribune des critiques de disques de France Musique m’avait alerté.

Et le voilà abordant deux Concertos de Saint-Saëns. Ces Concertos si décriés dans ma jeunesse – je les écoutais avec ravissement et un rien de mauvaises conscience sous les doigts impérieux de Jeanne-Marie Darré – ont depuis retrouvé leur place : au sommet, seulement comparable en terme de qualité et d’invention musicales au doublé ravélien qui leur doit bien plus qu’on ne veut l’admettre.

Le début du Deuxième Concerto, à la manière de Jean-Sébastien Bach, est périlleux. Si on le joue froidement, façon néoclassique, il s’étiole. Louis Schwizgebel en a bien compris l’enjeu, il y met sa sonorité de grand piano, timbre, chante à dix doigts, joue le jeu, et c’est merveille soudain d’y percevoir l’apparition d’un romantisme plein de caractère … dont il s’abstient dans les deux mouvements vifs qu’y suivent, faits sans maniérisme, ils filent droit, il y éclate un pianisme somptueux.

Pour le Cinquième Concerto, pour ses paysages imaginaires, entre Alhambra – l’Andante n’aura jamais été cambré à ce point, un vrai fandango – et felouques, l’inspiration est au pouvoir, dans la recherche d’une palette de sonorité stupéfiante, dans un jeu où l’imagination déborde sans cesse.

Malgré tout le plaisir qu’il prend et qu’il nous donne, Schwizgebel ne se déboutonne pas : il réunit les feux d’artifice du Finale dans un bouquet étincelant où les doigts flamboient sans oublier jamais de chanter, car même dans le mouvement le plus implacable, Saint-Saëns est capable de telles tendresses. Fabien Gabel donne au Deuxième une architecture claire, Martyn Brabbins déploie pour le Cinquième des paysages subtilement composés. On espère bien que les autres concertos suivront.

LE DISQUE DU JOUR

cover saint saens schwizgebel aparté
Camille Saint-Saëns
(1835-1921)
Concerto pour piano et orchestre No. 2 en sol mineur, Op. 22
Concerto pour piano et orchestre No. 5 en fa majeur, Op. 103 « L’Égyptien »

Louis Schwizgebel, piano
BBC Symphony Orchestra
Fabien Gabel (No. 2), Martyn Brabbins (No. 5), direction

Un album du label Aparté AP112
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Photo à la une : © Marco Borggreve