Daphnis en miroir

Conjonction des planètes discographiques, deux intégrales de Daphnis et Chloé m’arrivent le même jour. Impossible de ne pas suspendre illico toute autre écoute : Daphnis, dans l’enregistrement tardif de Pierre Monteux avec l’Orchestre Symphonique de Londres, est une de mes madeleines absolues, j’en connais de mémoire chaque inflexion, chaque suspension, chaque couleur. C’est par elle que la partition stylisée de Ravel est entrée dans ma tête tout entière pour n’en plus sortir et je veux en apprivoiser chaque nouvelle version.

Le style justement, voilà bien le propos de Philippe Jordan : direction fluide, recherche d’un son idéal de transparence, foisonnant de détails restés pourtant dans la ligne. Une lumière tendre, attique mais à la manière de Longus, un théâtre des affects. C’est une merveille de bout en bout, et idéalement balancé entre la cohérence de la vaste phalange assemblée par Ravel et l’imagination des solistes, virtuoses et aériens, tentant des phrasés et des alliages d’un hédonisme inouï. L’entreprise a profité de l’expérience assez radicale que fut la nouvelle chorégraphie de Benjamin Millepied, les musiciens de l’Orchestre de l’Opéra ont intégré à la symphonie le pas des danseurs mais aussi le geste narratif du chorégraphe. Sur cela trois jours d’enregistrement apportent un fini du moindre détail, une précision des dynamiques éloquente, et renforce ce brin de narcissisme inhérent au geste de Philippe Jordan … qui trouve également les chemins secrets de La Valse, fatale, grisante, monstrueuse mais avec du chic.

Avec l’Orchestre Philharmonique de Rotterdam, bien moins délié et naturellement ravélien que celui de l’Opéra de Paris – un premier disque Ravel pour EMI m’avait laissé interdit – Yannick Nézet-Séguin, dont les astres brillent si fort depuis deux ans, a voulu lui aussi son Daphnis.

Il le sculpte dans un marbre très noir, comme il le faisait déjà voici bien dix ans en concert avec l’Orchestre du Capitole de Toulouse. Dés l’Introduction, une dimension panique, une eau sombre indiquent non plus un ballet mais un drame. Cette façon de tendre les lignes, d’habiter le vaste appareil de sons, de penser sans cesse action défait le ballet et exalte la pantomime. Il manque ici où là la dimension réflexive, l’hédonisme capiteux de Jordan, et surtout sa ligne. Mais composé en épisodes par un orchestre qui parle, chaque seconde s’écoute avec surprise. C’est relu, repensé, voulu comme tel.

Je n’ouvre jamais les yeux comme au sortir d’un rêve, mais les personnages sont tous là. La Pavane pour une infante défunte prise au tempo giusto complète le ballet d’une façon presque incongrue. Au sortir d’une Bacchanale volcanique soudain cet éden de mélancolie n’est plus un contraste mais simplement un ailleurs. Choix étrange, j’aurais préféré l’intégrale de Ma Mère l’Oye.

LE DISQUE DU JOUR

cover ravel daphnis jordan eratoMaurice Ravel (1875-1937)
Daphnis et Chloé
(Ballet intégral)

La Valse

Orchestre et Chœurs de l’Opéra National de Paris
Philippe Jordan, direction

Un album du label Erato 825646166849
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Maurice Ravel
Daphnis et Chloé
(Ballet intégral)

Pavane pour une infante défunte

Chœur de la Radiodiffusion néerlandaise
Rotterdam Philharmonic Orchestra
Yannick Nézet-Séguin, direction

Un album du label Bis 1850
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Photo à la une : (c) DR