Maudite

Il ne faut pas trop que je cause à certains de mes amis d’Elly Ney, et encore moins du culte que je voue à son Empereur de guerre sous la baguette apollinienne de Karl Böhm. Son statut accepté sinon recherché d’égérie du régime nazi, ses connivences avec Hitler, l’ont à jamais « blacklistée » pour nombre de mes relations mélomanes. Mais moi non, je peux même écouter Elly Ney jouer L’Empereur pour Hitler et lire en même temps Les Origines du totalitarisme d’Hannah Arendt, je trouve même que l’un éclaire l’autre.

Ce préambule pour vous dire que recevant tout un disque d’archives inédites d’Elly Ney, j’ai engouffré illico le CD dans le lecteur. Et cela n’a pas été triste : d’abord période maudite, tous les enregistrements datent de 1944, ensuite aussi bien le Quintette de Schumann que le 15e Concerto de Mozart souffrent de « collaborateurs » en petite forme, enfin les prise de son sonnent étouffées.

Oui mais voilà, il suffit qu’Elly Ney pose ses mains sur le clavier pour que tous ces désagréments partent en confettis. Dans le Quintette de Schumann, sa vitalité emporte tout et elle prophétise autant dans le Modo d’una marcia que le fit Rubinstein : un vrai cortège de spectres. Ernst Schrader lui fait un tempo de sanatorium pour le 15e de Mozart : on lui donne le temps, elle le prend, et transforme cette lenteur en une promenade savoureuse, d’une distinction de toucher et d’accents assez bluffant. Tant pis si l’orchestre fait square, le jardin est capiteux, et dans le Finale s’invite, derrière la joie, une nostalgie inquiète qui reste l’apanage des vrais mozartiens.

Enfin seule, la voilà pleine de caractère et d’audace piaffant dans les Danses allemandes D. 783 de Schubert. Des danses ? Non des billets de caractères, chaloupés et déclamés, tout cela un rien altmödisch. Décidément Mme Ney, malgré l’Histoire, vous gardez un charme fou.

LE DISQUE DU JOUR

MC.1029.Elly.Ney.DigipakRobert Schumann (1810-1856)
Quintette pour piano et cordes en mi bémol majeur, Op. 44
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Concerto pour piano et orchestre No. 15 en si bémol majeur, K. 450
Franz Schubert (1797-1828)
14 Danses allemandes D. 783

Elly Ney, piano
Norbert Hoffmann, violon I
Wilhelm Martens, violon II
Fritz Laur, alto
Hans Adomeit, violoncelle
Kammerorchester des Deutschen Opernhauses Berlin
Ernst Schrader, direction
Enregistrements réalisés en 1944

Un album du label Meloclassic MC 1029

Photo à la une : (c) DR