Le grand Igor

Il y a un paradoxe Markevitch : on ne connaît que le chef d’orchestre, alors qu’il fut d’abord un compositeur considérable dans ses jeunes années, dont les partitions flamboyantes suscitaient l’admiration de Bartók et de Stravinski, rien que cela. Entendre l’équilibre qu’il apporte aux structures de la Septième Symphonie de Beethoven, premier opus du concert donné avec la Staatskapelle de Berlin le 13 février 1970, suffit pour réaliser qu’il dirige non comme un interprète mais comme un compositeur : de l’intérieur de l’œuvre pour ainsi dire.

Phénomène qui s’explique par un autre paradoxe : en 1970, les capacités auditives de Markevitch étaient depuis un certain temps déjà terriblement diminuées. La perfection de la balance, l’exactitude des variations dynamiques sont donc réglées à l’œil, et non à l’oreille, ce qui rend le résultat d’autant plus fascinant : la Septième est vraiment ici une symphonie chorégraphiée.

Chez Debussy, devant les périls rythmiques de La Mer, les musiciens berlinois sont moins certains du style et du texte – l’ouverture de De l’aube à midi sur la mer est indécise, mais dès le coup de lumière des cordes, tout respire et s’anime, devient un immense organisme vivant. Lecture fluide et venteuse, d’une clarté, d’une transparence qui m’évoque immédiatement celle de Pierre Boulez et du New Philharmonia Orchestra.

Comme souvent, Markevitch conclut le programme avec la Seconde Suite de Daphnis et Chloé qu’il transforme en un poème envoûtant, lui donnant à la fois un mystère et une dimension illustrative. La Bacchanale monte irrépressible telle une lame de fond : Markevitch l’a toujours dirigée avec la même inflexibilité rythmique qu’il mettait au Finale du Bacchus et Ariane d’Albert Roussel. Surprise, il a obtenu que les chœurs du Staatsoper de Berlin se joignent à l’orchestre : le songe du lever du jour, l’exultation de la danse finale n’en sont que plus irrésistibles.

LE DISQUE DU JOUR

MC.5002.Igor.Markevitch.DigipakLudwig van Beethoven (1770-1827)
Symphonie No. 7 en la majeur, Op. 92
Claude Debussy (1862-1918)
La Mer
Maurice Ravel (1875-1937)
Daphnis et Chloé – Suite de concert No 2

Chor der Deutschen Staatsoper
Staatskapelle Berlin
Igor Markevitch, direction
Enregistrement réalisé en 1970, à Berlin-Est

Un album du label Meloclassic MC5002
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Photo à la une : (c) DR