2×2

Premier disque d’Andris Nelsons avec « son » nouvel orchestre, le Symphonique de Boston. Je passe sur une Ouverture de Tannhäuser brassée large mais sans relief, pour m’attarder sur le véritable objet du disque, la Deuxième Symphonie de Sibelius. Comme ses confrères lettons, Nelsons est chez lui chez l’ennemi russe : Tchaikovski, Chostakovitch restent son pain quotidien.

Dans le grand livre du XXe siècle, Richard Strauss dame le pion à Gustav Mahler. Mais les Scandinaves ne sont pas son souci. Le voilà pourtant qui aborde Sibelius. Prudemment. La réserve qu’il met à l’Allegretto le montre un rien incertain, alors que les Bostoniens, phalange de longue tradition sibélienne forgée par Serge Koussevitzky et réaffirmée par Sir Colin Davis, voudraient chanter.

La bride est tenue, la poésie se meurt. Mais la mélodie intérieure de l’Andante, avec ses ponctuations savamment modelées indique bien que le grand jeune homme est sensible à cet art. Les jeux du Scherzo montrent une maîtrise des dynamiques clouante, mais comme extérieure. Cela tourne un rien à vide. Et même le Finale, construit à mesure, superbe de son et d’aplomb, manque d’élan, suite de séquences sans véritable fil conducteur.

L’élan, ce n’est pas ce qui manque à Eugene Ormandy ! Sibelius l’avait adoubé, recevant le microsillon Philips couplant les 4e et 5e Symphonies (1954*), il lui avait écrit toute l’admiration qu’il vouait à ces enregistrements âpres, sans concessions. Et (presque) tout ce que le chef hongrois a enregistré du Finlandais est marqué au sceau du génie. Pour clore son concert au Royal Festival Hall du 14 juin 1963, il avait programmé la Deuxième Symphonie de Sibelius.

Le Philharmonia était rompu à cette partition, et les mélomanes londoniens vouaient un culte à l’auteur de Tapiola. Mais Ormandy exigea que les bois et les trompettes fussent doublés. Même à Philadelphie il procédait de la sorte, voulant obtenir dans le Finale un élargissement du son qui stupéfiait le public. L’effet se reproduit ici, malgré les limites de la prise de son, Ormandy lisant l’œuvre sans complexe depuis les grandes symphonies de Tchaikovski, la dirigeant comme de la plus pure musique romantique, avec une furia, une intensité, un sens des phrasés sostenuto qui se sont perdus de nos jours.

Et des prises de risque inouïes : je crois que le tempo du Scherzo est le plus rapide que j’ai jamais entendu. Finale immense, qui dans son acmé se pare d’une dimension panique. Le public est transporté, et moi donc ! Le reste du concert est tout aussi fabuleux, Empereur lumineux, classique, d’une élégance absolue selon Arthur Rubinstein, Première Symphonie de Prokofiev persiffleuse, ironique, très à la Haydn, décidément la soirée fut décoiffante.

LE DISQUE DU JOUR

cover nelsons sibelius bsoRichard Wagner (1813-1883)
Tannhäuser – Ouverture
Jean Sibelius (1865-1957)
Symphonie No. 2 en ré majeur, Op. 43

Boston Symphony Orchestra Orchestre Symphonique de Boston
Andris Nelsons, direction
Un album du label BSO Classics 1401

cover sibelius ormandy testament
Sergeï Prokofiev (1891-1953)
Symphonie No. 1 en ré majeur, Op. 25 « Classique »
Ludwig van Beethoven (1732-1809)
Concerto pour piano No. 5 en mi bémol majeur, Op. 73 « Empereur »
Jean Sibelius (1865-1957)
Symphonie No. 2 en ré majeur, Op. 43

Arthur Rubinstein, piano
Philharmonia Orchestra
Eugene Ormandy, direction
Un double album du label Testament SBT2-1503

*ndlr: En fait ce LP Philips contenait des bandes CBS réalisées à Philadelphie en 1954. CBS était alors distribué par Philips/Epic en Europe. Au cours du début des années 1950, Ormandy a aussi enregistré de Sibelius en studio les oeuvres suivantes : les Légendes du Kalevala en 1951, Tapiola, En Saga, La Fille de Pohjola, Les Océanides en 1955, et plusieurs fois Finlandia – pour ne citer que les choses les plus significatives. Au début des années 1960, en complément de l’ensemble MONO, Ormandy enregistre un autre ensemble de pièces de Sibelius (par exemple les Symphonies Nos. 1, 7). Puis dans les années 1970, pour RCA et EMI, il gravera à nouveau ses oeuvres fétiches, dont les Légendes, et les Symphonies Nos. 2, 4, 5, 7). Il n’a jamais interprété la 3è du maître finlandais.

Photo à la une : (c) DR