D’un Requiem l’autre

Novembre 1961, Karl Richter enregistre pour Telefunken le Requiem de Mozart. Le revoilà artistement remasterisé par les ingénieurs d’Hänssler qui publie à mesure une édition Karl Richter reprenant les premières gravures de celui qu’on regarde trop uniment comme l’interprète des œuvres sacrées de Johann Sebastian Bach.

Un grand appareil funèbre, véhément, expressionniste, qui outrepasse la simple liturgie, et surprend toujours autant par son caractère dramatique. Pourquoi cette version est-elle si oubliée ? Certainement car elle ne cherche pas derrière la musique de Mozart cette consolation que le message du texte laisse espérer. Pour Karl Richter, noir c’est noir, et ce n’est pas la basse rugissante de Karl Christian Kohn qui le démentira. De cette turba angoissée monte le soprano de Maria Stader qui joue comme à l’habitude son rôle d’ange de lumière – perfection d’un chant purement mozartien, voix aussi longue que possible, absolument instrumental. C’est merveille, et elle entraîne Hertha Töpper – à la scène un Octavian irrésistible – et John van Kesteren, ténor au timbre d’Évangéliste, sur les mêmes sommets. Le disque achevé, je le place tout à coté du classique Böhm DGG, ils font bien la paire.

Au même moment, j’écoute enfin l’enregistrement du Bach Collegium Japan paru l’année dernière. Quasiment pas la même œuvre. Pourtant Masaaki Suzuki ne reprend pas à son compte les versions drastiques qui nous ont changé le visage – et presque le sens – du Requiem. Non, il préfère se fier à lui-même et composer sa propre mouture partant de l’autographe de Mozart et des ajouts de Eybler et de Süssmayr.

Surprise, dans sa lecture preste et svelte, inondée d’un grand soleil, tout semble séquentiel – ce qui n’est pourtant pas un défaut. Je me trouve soudain confronté à un service funèbre qui appelle quasiment une liturgie – celle qui morcelait jadis la gravure d’Eugen Jochum pour Deutsche Grammophon – et procède par touches successives. Les tempos enlevés, les articulations fluides, élégantes, font un petite théâtre des émotions qui ramène le Requiem vers les musiques liturgiques baroques omniprésentes dans les églises viennoises d’alors.

Quatuor subtilement apparié – Christian Immler phrase son Tuba mirum deux fois, puisque Suzuki complète son enregistrement avec une version alternative et Carolyn Sampson émerveille par son cristal. En sus, et dans la même lumière, les Vêpres Solennelles d’un confesseur. Alors un Requiem de tradition versus un Requiem relu ? Plutôt la nuit, puis le jour. Chacun choisira.

LE DISQUE DU JOUR

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Requiem, KV 626

Maria Stader, soprano
Herta Töpper, contralto
John van Kesteren, ténor
Karl Christian Kohn, basse
Münchener-Bach Chor und Orchester
Karl Richter, direction

Un album du label Hänssler Profil PH15006

cover mozart suzuki bisWolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Requiem, KV 626
Vêpres Solennelles d’un Confesseur (Psaume 116), KV 339

Carolyn Sampson, soprano
Marianne Beate Kielland, contralto
Makoto Sakurada, ténor
Christian Immler, basse
Bach Collegium Japan
Masaaki Suzuki, direction
Un album du label BIS 2091

Photo à la une : Le chef d’orchestre japonais Masaaki Suzuki – Photo : (c) Marco Borggreve