De l’invention de l’Opéra

L’œuvre est fastueuse, mais le disque n’en avait donné jusque-là qu’un visage incomplet. Pionnier, Charles Mackerras avait vu le potentiel de cet « opéra-oratorio » et distribué les personnages allégoriques du poème d’Agostino Manni à de grandes voix lyriques : Troyanos, Moser, Zylis-Gara, Auger, Prey, Adam, une équipe incroyable pour une œuvre qui paraissait insensée, théâtre lyrique destiné à l’oratoire.

A quoi répondait une étude de style – mais pas seulement – signée Hans Martin-Linde avec Montserrat Figueras, Andrea von Ramm et Nigel Rogers. Instruments d’époque, mais discours très baroque années 1970. D’autres pionniers en somme.

Une autre archive fut éditée par Orfeo, de peu de poids, quatre propositions inabouties suivirent dont une assez aventureuse signée Christina Pluhar, une autre plus conséquente due à Sergio Vartolo, qui s’effacent aujourd’hui : René Jacobs se penche sur cette malle aux trésors.

Il nous immerge dans un théâtre baroque foisonnant, où se mêlent récitatifs chantants, madrigaux, arias, ensembles, récits et actions, et même déclamations. Tout y est, Cavalieri reprend son rang et cette œuvre, plus que les Intermèdes de la Pellegrina, lui donne un statut proche de celui de Monteverdi : la Rappresentatione date de février 1600, L’Orfeo de février 1607. Jacobs construit son discours et son orchestre sur les affects, donnant aux notes de Cavalieri une portée émotionnelle immédiate, s’autorisant pour l’allégorie de la vita mondana une allusion aux prime donne d’une époque encore à venir, jouant toujours l’opéra dans l’oratorio.

Et c’est formidable d’intelligence, prodigieux de virtuosité, saisissant d’intensité expressive, cela vous plongera dans le bouillonnement de la Rome baroque d’alors en convoquant un orchestre fastueux. Magnifiquement captée, éditée avec un art amoureux, voici une nouvelle pierre fondatrice de la Discothèque de l’Honnête Homme.

LE DISQUE DU JOUR

cover jacobs rappresentatione cavalieri hmEmilio de Cavalieri (1550-1602)
Rappresentatione di Anima et di Corpo

Marie-Claude Chappuis, mezzo-soprano
Johannes Weisser, basse
Gyula Orendt, baryton
Mark Milhofer, ténor
Marcos Fink, baryton-basse
Staatsopenchor Berlin
Concerto Vocale
Akademie für Alte Musik Berlin
René Jacobs, direction

Un album de 2 CD du label Harmonia Mundi HMC 902200.01

Photo à la une : (c) DR