L’Ange noir

Longtemps, j’ai cru Franco Gulli le violoniste le plus classique, le plus élégant, le plus tempéré qui fut. Des Concertos de Mozart pour Claves, une intégrale des Sonates de Beethoven avec sa compagne en scène comme à la ville, Enrica Cavallo, sonnaient uniment solaires. Puis, un jour, je surpris sur les ondes de la RAI un 2e de Bartók âpre, hanté, tragique. Qui jouait donc cela ainsi ? Totenberg, Gertler ? Non : Gulli.

Voici que l’Instituto Dicscografico Italiano, dans le cadre d’une édition dévolu au violoniste, publie enfin cette bande radio enregistrée en 1959. Et à nouveau, je suis, dès la ballade rhapsodique du début, saisi par la violence de cet archet. Loin de tout folklore, y compris dans un Finale où se déroule une vraie danse des morts, phrasée avec hauteur, cette lecture sans apprêt – Gulli volontairement ne produit jamais le son admirablement équilibré qui lui était naturel – tire la partition vers son coté sombre, expressionniste.

Assurément une des grandes versions historiques de l’œuvre enfin publiée, proche, par le ton comme par les tempos de celle justement légendaire de Yehudi Menuhin et Wilhelm Furtwängler. En complément, une gravure mieux connue : Premier de Prokofiev, à Naples, sous la baguette irisée de Sergiu Celibidache. Soudain le jeu s’éclaire, l’archet s’élance, la chanterelle se déploie et vocalise. Mais rien n’y fait, l’Ange noir qui jouait Bartók nous poursuit toujours.

LE DISQUE DU JOUR

IDIS 6689 Copertina.FH9

Béla Bartók (1881-1945)
Concerto pour violon No. 2,
Sz. 112

Serge Prokofiev (1891-1945)
Concerto pour violon
et orchestre
No. 1, Op. 19

 

Franco Gulli, violon
Orchestre Symphonique de la RAI de Turin
Mario Rossi, direction (Bartók)
Orchestre Alessandro Scarlatti de la RAI de Naples
Sergiu Celibidache, direction (Prokofiev)

Un album du label IDIS 6689

Photo à la une : Franco Ferrara, Franco Gulli et Sergio Lorenzi à Sienne – Photo : © Galliano