Jolivet russe

Melodiya a le goût de la surprise. On attendait à peu près tout du label russe, mais en tous cas pas un double album Jolivet ! L’éditeur se souvient des concerts dirigés par le compositeur lors de sa venue à Moscou en 1966 et livre les interprétations fiévreuses de trois partitions données à cette occasion : le Concerto pour flûte, rêvé et torpide, où le grand traverso d’Alexander Korneyev chante avec une profondeur de son que n’y mit jamais l’adamantin Jean-Pierre Rampal, les Cinq danses rituelles, orgie de timbres où les souffleurs russes mettent des couleurs incroyables, et, sommet, la Première Symphonie, partition tour à tour paroxystique ou magique – l’Adagio avec son violoncelle et sa flûte concertants reste une des pages les plus saisissantes coulée de la plume de Jolivet. Écrite en 1953, elle est pour moi intimement liée à la Première Symphonie de Dutilleux, sa cadette de deux ans. Les deux œuvres entremêlent rêves et cauchemars dans une « onirie » divagante.

Découvrir ce concert Jolivet par lui-même aurait presque suffi. Mais non, Melodiya y ajoute une lecture un peu prudente de la Rhapsodie à sept, une version d’un raffinement sonore inouï du Concerto pour basson selon Valery Popov dirigé par Rojdestvensky et une lecture flamboyante du difficile Concerto pour piano qui assura à son auteur une certaine renommée hors des frontières de son pays : Valery Kastelsky triomphe de son écriture éclatante et l’orchestre de Vassily Sinaisky met derrière son clavier des paysages extrême-orientaux tour à tour menaçants ou extatiques.

Dépité de ne pas avoir retrouvé dans ses archives la création moscovite du Second Concerto pour violoncelle écrit pour Rostropovitch, l’éditeur reprend l’enregistrement réalisé pour Erato par le commanditaire : mais la bande qui dormait à Moscou est plus présente, plus dynamique que celle éditée un temps en CD par le label français.

Album essentiel, ne serait-ce que par l’interprétation radicale de la foisonnante Première Symphonie. Et maintenant que l’éditeur exhume le Concerto pour harpe avec Vera Doulova et le Concertino pour trompette, orchestre à cordes et piano avec Timofey Dokshister et Tatiana Nikolayeva sous la baguette implacable de Rudolf Barchaï !

LE DISQUE DU JOUR

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André Jolivet (1905-1974)
Concerto pour flûte et orchestre à cordes, Concerto pour violoncelle n°2, Concerto pour basson, Concerto pour piano, Symphonie No. 1,
Cinq Danses rituelles pour orchestre, Rhapsodie à sept

Alexander Korneev, flûte
Mstislav Rostropovitch, violoncelle
Valery Popov, basson
Valery Kastelsky, piano
Orchestre Symphonique d’État de Lettonie
Vassily Sinaisky, direction
Orchestre Symphonique de la Radio de Moscou
André Jolivet, Gennadi Rojdestvensky, direction
Les Solistes de Moscou
Valery Polyanski, direction

Un album de 2 CD Melodiya MELCD1002215

Photo à la une : (c)