Diffractions

Le premier album, qui alterne strictement les haïkus de Ligeti aux fulgurances des Bagatelles, Op. 119 exposent deux Modernes malgré eux. Le bref les dénude, mais plus Ligeti, qui s’y assèche, que Beethoven, qui s’y échappe, et à l’écoute, je me demande si l’Opus 6 de Bartók n’auraient pas fait un adversaire plus redoutable, mais le plaisir physique, presque rapace, qu’Herbert Schuch prend à jouer Ligeti…

La fluidité de la technique permettra de toute façon d’entendre Beethoven indépendant de Ligeti et l’inverse, l’occasion de vérifier qu’Herbert Schuch n’entend pas les deux opus comme des fragments, mais comme des univers qui obéissent à des lois imparables. Le génie du pianiste à proprement parler stupéfie dans l’Opus 126 (enregistré sans interférences), la tendresse exigeante de l’Andante, la précision un rien métrique de l’Allegro, assez pour être furieuse, la prière de l’Andante, les talons qui claquent dans le Presto, le petit regret du Quasi Allegretto – qui pourrait être de Schubert –, le grand geste lancé puis poétique de la Bagatelle finale, avec sa valse perdue, rappellent que, tout maître du clavier qu’il soit, Herbert Schuch est d’abord un poète : écoutez le chant des basses … ; qui pourrait aujourd’hui nous faire toutes les Bagatelles à cet étiage aujourd’hui ? Benedek Horváth, certainement.

Ce premier disque de confrontation beethovénienne m’avait échappé, voilà pourquoi je vous en cause seulement maintenant.

Une année plus tard, notre pianiste remettait sur le métier Beethoven e altri. Sa curiosité est sans bornes, qui l’amène à exhumer juste au moment où on l’oublie Henri Pousseur : Coups de dés en échos, dont l’esprit est assez « bagatelle », fut écrit sur les lettres (notes) musicales formées par le patronyme de John Cage, hommage impertinent au compositeur américain disparu une année plus tôt (heureusement qu’il n’a pu l’entendre). Nonobstant, l’esprit pincé et peu sarcastique, les motifs obsessifs correspondent assez aux méchancetés de l’Allegro vivace de la Seizième SonateBeethoven tord une bonne fois pour toutes le cou à Joseph Haydn.

Après « La Tempête », le piano préparé de la Deuxième Sonate de Leander Ruprecht en ressaisit en quelque sorte les effets, et peut–être même l’esprit : cette musique donne à voir, comme celle de Beethoven le voulait, ce que, chez l’un comme l’autre, le pianiste fait en peintre, jouant du nuancier du clavier et de l’espace du meuble comme peu savent pouvoir le faire aujourd’hui (Nelson Freire ?).

La pièce de Mike Garson est bien plus qu’un commentaire à la Pathétique. Mais ne soyons pas illusionnés. Si brillantes soient ces correspondances, bien plus que des reflets, ce sont les trois Sonates de Beethoven qui montrent Herbert Schuch en démiurge. Preuve de son génie, l’Adagio de La Tempête. Musique de la rétention, des questions, des suspensions que tant auront fait languir en atermoiements ; mais écoutez la nature du son : ce que tant évase, il l’emplit, comme jadis Claudio Arrau, magnifique piano qui ne cède jamais, tient, sostenuto, vertu beethovénienne s’il en fut.

LE DISQUE DU JOUR

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
11 Bagatelles, Op. 119
6 Bagatelles, Op. 126
György Ligeti (1923-2006)
Musica Ricercata

Herbert Schuch, piano

Un album du label CAvi-Music 8553443
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Reflecting Beethoven

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Sonate pour piano No. 8 en ut mineur, Op. 13 « Pathétique »
Sonate pour piano No. 16 en sol majeur, Op. 31 No. 1
Sonate pour piano No. 17 en ré mineur, Op. 31 No. 2 « La Tempête »
Henri Pousseur (1923-2006)
Coups de dés en échos
Leander Ruprecht (né en 1999)
Sonate pour piano en ré mineur (deuxième version)
Mike Garson (né en 1945)
Pathétique Variations

Herbert Schuch, piano

Un album du label CAvi-Music 8553016
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Photo à la une : le pianiste Herbert Schuch – Photo : © DR