Salomé boréale

Lorsque Ljuba Welitsch parut en Salomé, Karajan sût qu’il tenait enfin sa princesse de Judée : une voix d’adolescente dans un corps de femme. Depuis, peu de sopranos auront pu incarner cette double identité, Karajan, chanceux derechef, ayant le bonheur de découvrir la jeune Hildegard Behrens qui renouvelait le miracle de Welitsch. Walburga Wegner, Anja Silja, Teresa Stratas et même Cheryl Studer s’y essayèrent et y parvinrent sans atteindre au même degré d’adéquation, voix moins profonde, à l’aigu moins insolent, au grave moins sexuel.

Une seule le put vraiment dans les années 1980, Laila Andersson-Palme, grand soprano nordique qui avait commencé comme Reine de la Nuit et finira en Elektra. Sa voix exactement placée, ample, timbrée sur tous les registres, d’une vaillance à l’aigu aussi intense que celle de Nilsson trouva en Salomé son rôle absolu.

Longtemps réservée au seul public de l’Opéra de Stockholm, cette Salomé fit chavirer en 1984 celui de l’Opéra de Vienne qui pourtant en avait vu d’autres, et des plus relevées, Rysanek comprise. Le 1er octobre 1990, lors d’une représentation donnée à la mémoire de Göran Järvefelt disparu quelques mois plus tôt à l’âge de quarante-deux ans, Laila Andersson-Palme reprenait son rôle fétiche, avec l’émotion d’incarner à nouveau la princesse amoureuse telle que l’avait voulue Järvefelt ajoutant une dimension supplémentaire à son incarnation.

Vertigineuse Salomé, accordée à une soirée incendiaire où Berislav Klobučar, familier de l’œuvre qu’il dirigea souvent à Vienne (pour Anja Silja notamment) règle un drame torride, bariolant l’orchestre de Strauss de couleurs brutes. Dans cette atmosphère d’Afrique, le Jochanaan hautain de Curt Appelgren tranche par l’ampleur de son chant sur une cour dépravée où Ragnar Ulfung et Barbro Ericson chargent d’accents expressionnistes le couple monstrueux du Tétrarque et de son épouse.

Soirée extravagante et fascinante, dès l’envol de la clarinette et les premiers mots d’un magnifique Narraboth, John-Erik Jacobson, précipité dans son suicide par l’apparition de cette Salomé irrésistible.

LE DISQUE DU JOUR

Richard Strauss (1864-1949)
Salome, Op. 54, TrV 215

Laila Andersson-Palme, soprano (Salome)
Curt Appelgern, baryton (Jochanaan)
Barbro Ericson, mezzo-soprano (Herodias)
Ragnar Ulfung, ténor (Herodes)
John-Erik Jacobsson, ténor (Narraboth)
Eva Pilat, contralto (Le Page d’Herodias)

Orchestre de l’Opéra Royal de Suède
Berislav Klobučar, direction

Un album de 2 CD du label Sterling CDA1843/1844-2
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Photo à la une : la soprano Laila Anderson-Palme – Photo : © DR