L’apôtre de Mozart

Edwin Fischer fut l’un des premiers à répondre présent lorsque le Festival de Salzbourg rouvrit, il y venait en voisin de sa Suisse pas si lointaine, Furtwängler l’ami de toujours l’y incitait, et dès 1946 il donnait tout un concert au Mozarteum consacré à l’enfant du pays : deux concertos qu’il dirigeait du piano comme Furtwängler justement l’y avait encouragé, faisant entrer dans les tutti l’esprit des opéras, encadraient la Symphonie K. 550. Concert mythique, et qui le demeura sans que longtemps on puisse le vérifier autrement qu’à la lecture des critiques de l’époque : les bandes en étaient si bien perdues qu’on ne l’avait pas cru enregistré, mais soudain les seuls deux Concertos émergèrent de la poussière des archives, les voici.

C’est l’esprit de Cosi fan tutte qui flotte sur le 25e, alerte, fusant, que Fischer donne d’un seul geste, embrasant les Wiener Philharmoniker (et ce sera son seul témoignage où l’on peut l’entendre les diriger), alors que dans le 22e il déploiera dans l’Andante tout un crépuscule pour mieux faire contraste après un Allegro foudroyant. Miracle du concert, le Rondo du 22e pris à demi-voix, puis peu à peu dansant, d’une fantaisie fragile que Fischer décore d’ornements subtils, coulés, dans l’ombre des harmonies. Quel art !, qui rappelle qu’il fut l’un des premiers à oser orner autant – Schnabel le faisait bien moins – montrant le chemin aux pianistes férus de pratique historiquement informée : Ralph Kirkpatrick s’en souviendra. Ecoutez bien les cadences qui sont de son invention : celle du Rondo du 22e est si surprenante…

Fischer reviendra à Salzbourg en trio, revivifié par le sang neuf de Wolfgang Schneiderhan qui succédait à Georg Kulenkampff, disparu en 1948. Que ce soit dans Mozart, Beethoven (l’Archiduc est anthologique) ou Brahms, il inspire de son clavier des phrasés vocaux qui seraient plus dans la nature même des archets de ses partenaires. Le Premier Trio de Brahms saisit par son ardeur, sa sombre éloquence.

Ultime apparition, toute une soirée Beethoven le 28 juillet 1954. Edwin Fischer accepta au dernier moment de remplacer Arturo Benedetti Michelangeli qui commençait ses caprices, et devait ouvrir la saison des Solistenkonzerte. Pas de Ravel ou de Scarlatti, mais à une autre altitude, et s’y haussant d’emblée avec l’Opus 111, trois sonates comme autant de proclamations. L’ultime, la Pastorale, la Waldstein. Les doigts volent, le meuble tremble, ce piano d’où semble jaillir un orchestre est dans son temps d’ultime maturité l’un des plus puissants, des plus suggestifs qui soient, et méduse.

Le concert fut radiodiffusé en direct, le Festival ne prenant pas soin de l’enregistrer, mais chez lui, ayant branché son Studer, Paul Badura-Skoda, l’élève devenu ami, veillait au grain : c’est à lui qu’Orfeo doit d’avoir pu publier cette soirée où le génie beethovénien avait trouvé son medium.

LE DISQUE DU JOUR

Edwin Fischer
Salzburger Festspiel Dokument

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Concerto pour piano et orchestre No. 25 en ut majeur, K. 503
Concerto pour piano et orchestre No. 22 en mi bémol majeur, K. 482
Trio pour piano, violon et violoncelle No. 5 en ut majeur, K. 548
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Trio pour piano, violon et violoncelle No. 7 en si bémol majeur, Op. 97 « Archiduc »
Sonate pour piano No. 32 en ut mineur, Op. 111
Sonate pour piano No. 15 en ré majeur, Op. 28 « Pastorale »
Sonate pour piano No. 21 en ut majeur, Op. 53 « Waldstein »
Robert Schumann (1810-1856)
Trio pour piano, violon et violoncelle No. 1 en ré mineur, Op. 63
Johannes Brahms (1833-1897)
Trio pour piano, violon et violoncelle No. 1 en si majeur, Op. 8

Edwin Fischer, piano
Wolfgang Schneiderhan, violon
Enrico Mainardi, violoncelle
Wiener Philharmoniker

Un album du label Orfeo C823104L
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Photo à la une : le pianiste Edwin Fischer – Photo : © DR