Le Requiem oublié

Un jour que je dînais au restaurant communal de Morges avec Heinrich Sutermeister, je lui demandais si son Requiem n’avait jamais été enregistré. « Pour la RAI, par Karajan », me répondit-il dans un sourire. Ce ne devait pas être pour m’étonner la création prestigieuse de son Romeo und Julia avec Cebotari et Böhm avait lancé sa carrière, alors le Requiem par Karajan était une évidence, pour lui en tous cas.

Cette bande mythique, la voici enfin éditée correctement. Elisabeth Schwarzkopf avait appris la partie de soprano, elle était toujours plus libre hors des pays de langue allemande pour aborder des répertoires rares, un Luonnotar à Helsinki, un Psaume de Schmitt à Paris (remplaçant in extremis pour Markevitch Denise Duval) le prouvent.

Et puis, en Italie, elle osait pour Karajan des expériences dont sa stupéfiante Mélisande ne fut pas la moindre. C’est d’abord pour elle que l’on entendra cet admirable Requiem enténébré dont elle prie le Dies Irae en tragédienne, moment si émouvant, mais aussi pour l’œuvre elle-même qui est une des toutes grandes partitions sacrées du XXe siècle, que je désespère de voir enregistrer dans les conditions techniques d’aujourd’hui.

Les deux autres œuvres prises dans les mêmes premières années cinquante montrent combien le jeune Karajan savait être aventureux, imposant les orages de la Première Symphonie de Walton à une formation qui pouvait les craindre (et quel sens des atmosphères il y met !), raffinant le ton élégiaque de la Musica da Concerto de Ghedini où l’alto de Bruno Giuranna enténèbre un thrène, autre concerto funèbre qu’on devrait voisiner avec celui d’Hartmann.

Dix ans plus tard, Antifone de Henze résonne dans les somptuosités des Berliner Philharmoniker comme un Klimt en musique, coda abstraite, apposée à coup de feuilles d’or sur les divagations de la Seconde Ecole de Vienne. Mais c’est déjà un tout autre monde, et un tout autre Karajan.

LE DISQUE DU JOUR

Karajan Rare Documents

Heinrich Sutermeister (1910-1995)
Missa da Requiem
Elisabeth Schwarzkopf, soprano – Giorgio Tadeo, basse
Orchestra Sinfonica e Coro di Roma della RAI
Enregistré à Rome le 21 décembre 1953

William Walton (1902-1983)
Symphonie No. 1 en si bémol mineur
Giorgio Federico Ghedini (1892-1965)
Musica da concerto per viola e orchestra
Bruno Giurann, alto – Orchestra Sinfonica di Roma della RAI
Enregistré à Rome le 5 décembre 1953

Hans Werner Henze (1926-2012)
Antifone
Berliner Philharmoniker
Enregistré à Berlin en 1963

Herbert von Karajan, direction

Un album de 2 CD du label Urania WS181389
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Photo à la une : le chef d’orchestre Herbert von Karajan, en 1963 – Photo : © DR