Le Diable et l’Ange

Les timbres. Voyez-vous, les timbres font un pianiste. Oui, il lui faut des doigts, du panache, de la musicalité, mais sans les couleurs le piano reste en noir et blanc. Les timbres ne sont pas donnés à tout le monde, mais Nathanaël Gouin en est le jeune maître.

En recevant son album Bizet, je ressors son disque Liszt, qui m’avait surpris en bien. Un programme sur la mort comme le proclame le titre de l’album, « Liszt Macabre » ? Un portrait du diable oui, qui ricane, persifle, tressaute dans une Seconde Méphisto-Valse d’anthologie, entre feux d’artifice et souffre. Mais que vienne la scène de séduction, avec ses fantasmes de musiques tziganes, et alors c’est Méphisto qui joue dans les doigts du jeune homme, avec tout ce qu’un pianiste maître de son art sait pouvoir suggérer. L’album s’écoute d’un trait, puis vous le remettrez dans la platine, pour aller mieux comprendre comment, du Diable, on glisse à Faust et Marguerite.

Son second disque n’est pas moins littéraire, le piano de Bizet est celui des élus, Glenn Gould se sera régalé un peu vite des Variations chromatiques, Jean-Marc Luisada aura cherché Schumann dans les Chants du Rhin et l’y aura trouvé, Setrak, claviériste insatiable, aura tenté le tout et vraiment pour le tout, révélant que Bizet aura sacrifié une bonne part de son génie à cette Messaline du Second Empire : l’opéra.

La poésie naturelle de ses Chants du Rhin, l’élan du Deuxième Concerto de Saint-Saëns croqué dans les dix doigts par Bizet (il faut entendre le vrai saltarello qu’il se permet et que souvent l’orchestre bride un rien, nous rappelant que pour la liberté, seul c’est mieux, malgré un clavier par assez léger), le précis un peu ironique de l’énoncé du thème des Variations, les deux mains absolument libres du Menuet de L’Arlésienne avec galoubets et « primes » selon Rachmaninov (et puis une mezzo aussi, et assez salon !), Nadir peut enfin paraître (plage 7, commencez par là). « Venise », nous dit Nathanaël Gouin qui s’est arrangé cela pour son piano. Ah oui, Venise, cet Orient… « Longtemps j’ai cru entendre… »

LE DISQUE DU JOUR

Liszt macabre

Franz Liszt (1811-1886)
Méphisto-Valse No. 2, S. 515
Harmonies poétiques et religieuses III, S. 173 (2 extraits : IV. Pensée des morts, VII. Funérailles)
Totentanz, paraphrase sur « Dies Irae », S. 525
Csárdás macabre, S. 224
Gretchen (No. 2, extrait de “Eine Faust Symphonie », S. 513, arr. pour piano solo : Liszt)

Nathanaël Gouin, piano
Un album du label Mirare MIR354
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Bizet sans paroles

Georges Bizet (1838-1875)
Chants du Rhin, WD 52
La romance de Nadir
(extrait des « Pêcheurs de perles,
WD 13 », arr. Gouin)

8 Variations chromatiques, WD 54
Menuet de « L’Arlésienne,
WD 40 » (arr. Rachmaninov)
Camille Saint-Saëns (1835-1921)
Concerto pour piano et orchestre No. 2 en sol mineur, Op. 22
(arr. pour piano solo : Bizet)

Nathanaël Gouin, piano
Un album du label Mirare MIR452
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Photo à la une : le pianiste Nathanaël Gouin – Photo : © DR