Incisif

J’aimais la sonorité claire, l’éloquence sans façons de son violoncelle, si souvent présent dans les enregistrements récents du Quintette de Schubert, mais c’était dans une autre de ses vies : Michael Sanderling a troqué l’archet contre la baguette, cédant au tropisme familial.

Il a finalement trouvé à Dresde son orchestre, celui de la Philharmonie, dont les pupitres n’ont rien à envier à ceux de la Staatskapelle, et qui aura vu des baguettes prestigieuses le diriger au cour des décennies, Van Kempen, Schuricht, Bongartz, Garaguly, Masur, Herbig, sculptant dans leur sonorité claire un répertoire où le XXe siècle tint toujours bonne place.

Est-ce pour prendre le contrepied, mais Michael Sanderling aura initié leur collaboration au disque avec une intégrale des Symphonies de Beethoven coulée dans la plus pure tradition, tempos amples, geste altier, on pourra trouver cela un peu trop classique, jusqu’à ce qu’une Pastorale fasse soudain entrer une nuance plus romantique, changeant l’axe.

La Septième, élégante, la Huitième malicieusement haydienne, la 9e tenue, impérieuse, signaient la fusion entre l’orchestre et le chef qui, une année plus tard, produisit une stupéfiante intégrale des Symphonies de Chostakovitch, passée trop inaperçue de ce côté-ci du Rhin (il semble que Sony ait réservé ce coffret aux seuls mélomanes allemands).

Les grandes symphonies tragiques – 4e, 8e, 7e, 13e – sont abruptes, implacables, déflagrées dans des tempos inflexibles, les partitions expérimentales (1ere, 2e, 6e) jouées mordantes, persifleuses – le théâtre acide, toqué, de la 14e est assez inouï, la 15e déconcertante par le geste objectif, comme détaché qui donne des 5e et 10e des visions polaires, parcourue d’accès de folie.

Mais aussi saisissant que soit le direction de Michael Sanderling dont je me doute qu’il fut à bonne école pour comprendre et interpréter l’univers de Chostakovitch, c’est la qualité faramineuse de l’orchestre qui fait rayonner la sombre splendeur de son quatuor, l’abrupt de ses cuivres, les tsunamis de sa percussion, la verdeur de ses bois – comment ne pas entendre une telle adéquation avec cet univers de cendre et de glace !

LE DISQUE DU JOUR


Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Les Symphonies (Intégrale)
No. 1 en do majeur, Op. 21
No. 3 en mi bémol majeur, Op. 55
No. 2 en ré majeur, Op. 36
No. 4 en si bémol majeur, Op. 60
No. 5 en ut mineur, Op. 67
No. 6 en fa majeur, Op. 68 “Pastorale”
No. 7 en la majeur, Op. 92
No. 8 en fa majeur, Op. 93
No. 9 en ré mineur, Op. 125 “Chorale”

Vera-Lotte Böcker, soprano
Kristina Stanek, mezzo-soprano
Bernhard Berchtold, ténor
Torben Jürgens, basse
MDR Rundfunkchor
Dresdner Philharmonie
Michael Sanderling, direction
Un coffret de 5 CD du label Sony Classical 190750724720
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Dmitri Chostakovitch
(1906-1975)
Les Symphonies (Intégrale)
No. 1 en fa mineur, Op. 10
No. 2 en si majeur, Op. 14 “Octobre”*
No. 3 en mi bémol majeur, Op. 20
“Le 1er mai”*

No. 4 en ut mineur, Op. 43
No. 5 en ré mineur, Op. 47
No. 6 en si mineur, Op. 54
No. 7 en ut majeur, Op. 60 “Stalingrad”
No. 8 en ut mineur, Op. 65
No. 9 en mi bémol majeur, Op. 70
No. 12 en ré mineur, Op. 112 “L’Année 1917”
No. 10 en mi mineur, Op. 93
No. 11 en sol mineur, Op. 103 “L’Année 1905”
No. 13 en si bémol mineur, Op. 113 “Babi Yar”**
No. 14, Op. 135¤
No. 15 en la majeur, Op. 141

¤Polina Pastirchak, soprano
¤Dmitry Ivaschchenko, basse
**Mikhail Petrenko, basse
*MDR Rundfunkchor
**Estonian National Male Choir
Dresdner Philharmonie
Michael Sanderling, direction
Un coffret de 11 CD du label Sony Classical 190758724621
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Photo à la une : le chef d’orchestre Michael Sanderling – Photo : © Marco Borggreve