Berlioz de Vienne

Vienne et la Symphonie fantastique ? Pierre Monteux, qui savait comment susciter les anges et les diables de la partition comme personne, s’était cassé les dents sur les Wiener Philharmoniker. Quelle idée aussi avait eu Decca de lui demander l’œuvre manifeste de Berlioz avec les Viennois plutôt qu’avec ses chers Londoniens !

Soixante ans plus tard, une nouvelle Fantastique arrive de Vienne, cette fois avec l’autre orchestre de la ville, les Symphoniker, les orchestres ont lissé leurs standards, même à Vienne qui conserve pourtant dans l’une et l’autre de ses formations des hautbois, des clarinettes comme venus d’un autre temps.

C’est tant mieux pour la Scène aux champs que Philippe Jordan peint comme une de ces clairières avant l’orage que Millet croquait dans la forêt de Fontainebleau de sa palette sombre, évoquant l’arc-en-ciel comme un spectre : l’espace s’y creuse dans d’énigmatiques sfumatos. Vous vous en doutez, le Bal est d’une élégance folle, s’enivre de cordes, file comme enlevé par la Reine Mab. Rêveries – Passions devient une étude d’orchestre pré-impressionniste, aux couleurs d’un raffinement stupéfiant, pleine d’apparitions plus suggérées qu’imposées (Füssli ?), quelle science pour composer l’orchestre, quelle balance de peintre.

Et la part du diable ? Philippe Jordan ne se déboutonne pas, ni dans la Marche au supplice, qu’il tient dans un tempo ferme, préférant exposer les audaces que faire danser le cortège, tout cela n’en étant au Finale que plus impérieux, les tambours coupant le cou à l’idée fixe. Sabbat lui aussi tenu, savourant le génie d’une instrumentation où tout ricane sous cape, avec encore une fois cet art de creuser le son de l’orchestre en partant de la plus infime nuance piano. Les traits sont secs, précis, coupant, évitant le dégorgement d’effets si souvent entendus. Cela laissera certains sur leur faim.

Qu’ils se rassasient avec Lélio, Philippe Jordan donnant lors de ces concerts de novembre 2018 le dyptique au complet. Lélio est difficile, le narrateur peut y emporter tout, ou tout y gâcher, mais l’idée d’y distribuer un chanteur comme Jean-Philippe Lafont est salvatrice, ses mots sont aussi de la musique.

Et Cyrille Dubois, magique pour la ballade de Goethe, Pêcheur mélancolique, plus encore pour le Chant de bonheur de la voix imaginaire de Lélio, la culmination de la géniale Fantaisie sur « La tempête » de Shakespeare, sont à vrai dire impérissablement entendues et restituées.

LE DISQUE DU JOUR

Hector Berlioz (1803-1869)
Symphonie fantastique, Op. 14, H. 48
Lélio ou Le retour à la vie, Monodrame lyrique, Op. 14b, H. 55B

Cyrille Dubois, ténor
Florian Sempey, baryton
Ingrid Marsoner, piano
Jean-Philippe Lafont, narrateur
Wiener Singverein
Wiener Symphoniker
Philippe Jordan, direction

Un album de 2 CD du label Wiener Symphoniker WSO020
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Photo à la une : le chef d’orchestre Philippe Jordan – Photo : © DR