Le Beau Chant

Toutes les intégrales d’opéras gravées autour de Pavarotti ? L’histoire est un peu différente. Le jeune homme timide que Joan Sutherland emmena en tournée en 1965 et auquel elle inventa un premier répertoire, celui des héros romantiques, tragiques ou légers, peints par Bellini et Donizetti, rentrera chez Decca en quelque sorte comme son primo uomini : voix longue, souple, timbre doré, style unique.

Decca découvrant cette voix parfaite et si touchante dans son rayonnement même lui demandera assez vite des Verdi et d’abord Riccardo face à Tebaldi : marier ces deux timbres hédonistes fut un rêve qui fit long feu. EMI avait-il vu plus loin plus tôt ? L’épousant à sa sœur de lait, Mirella Freni, l’éditeur londonien avait ressuscité cette merveille du vérisme, L’Amico Fritz, conscient que cette voix gorgée d’harmoniques serait chez elle dans le répertoire du second romantisme.

Karajan entendant le Calaf étreignant qu’il avait offert à Zubin Mehta en fera son ténor Puccini, Rodolfo évidemment, mais Pinkerton aussi, surtout : à compter de ce doublé, Decca composa les distributions autour de Pavarotti, continuant à l’assortir avec Sutherland, mais comment ne pas entendre que le grand soleil du ténor précipitait l’éclipse de la soprano qui l’avait inventé au disque ?

On tenta de l’apparier avec Caballé, la réussite de leur Luisa Miller est incontestable, mais le couple idéal sera celui formé avec Mirella Freni, dont la présence radieuse lui donnera toujours des ailes, jusque dans la Tosca de Rescigno, si discutée, et si admirablement chantée où les rejoint aussi Sherrill Milnes pour son Scarpia inoxydable, autre leçon de chant et de théâtre.

Les années passant ajoutèrent beaucoup de Verdi, et avec raison : Pavarotti y faisait son chant classique, le stylant au possible, sachant que face à lui régnait Carlo Bergonzi. Otello, rôle au fond sinistre lui convenait mieux que tout l’éclat de Manrico, car il y a dans l’or de cette voix du sombre et dans les tirades de Boïto de quoi susciter ce génie des mots qui fait tout l’art d’un chanteur-diseur: faire surgir un visage, faire entendre des émotions autant par le texte que par les notes. Ce ténor-là est une bénédiction pour les librettistes.

Fait-peut-être unique, Pavarotti enregistrera tous les rôles qu’il aura portés à la scène, et jusqu’à Idomeneo où il retrouve Pritchard qui l’y avait dirigé jeune homme, mais en Idamante alors.

Les ultimes années réservent quelques merveilles, Radamès avec des allégements dignes de Pertile, face à l’admirable Aïda de Chiara, Otello, Don Carlo pour Muti (le coffret reprend aussi les EMI), où l’on entend ce chant se souvenir de celui de Bergonzi (l’analogie est troublante), Riccardo avec Price et Solti, inoubliable de tension et de raffinement à la fois.

Mais dans cette grande coda des années 1990, la Manon Lescaut de Puccini, ultime session de studio avec Freni, doit être réévalué, merveille de bel canto animé par James Levine.

L’éditeur ajoute les gravures d’œuvres sacrées, assortit l’édition d’un fort livret dont on goûtera l’iconographie, ajoute les six Blu-Ray déjà parus et révèle, enregistrée dans un tube, La Bohème de Reggio Emilia en 1961 où le public délire de découvrir l’or de cette voix.

LE DISQUE DU JOUR

Luciano Pavarotti
The Complete Opera Recordings

Oeuvres de Vincenzo Bellini, Gaetano Donizetti, Ruggero Leoncavallo, Pietro Mascagni, Giacomo Puccini, Gioacchino Rossini, Giuseppe Verdi, etc.

Un coffret de 101 CD et 6 Blu-Ray du label Decca 0002894832417
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Photo à la une : le ténor Luciano Pavarotti, en répétition avec Leone Magiera avant un récital – Photo : © Decca Classics