Seule

Un théâtre de pierre, le Manège des Rochers débarrassé de ses arcades, aura recueilli la plus stupéfiante mise en scène de la Salome de Strauss que Salzbourg n’ait jamais vue. Romeo Castellucci installe dans ce vide le foisonnement de ses signes symboliques, affronte le noir et le blanc, met au palais d’Hérode les ors d’un Klimt.

Cette efflorescence de citations exalte plus encore l’immobilité de Salomé, qui ne dansera pas sa danse et finira sous l’effondrement d’une immense pierre. La profusion des éléments, l’écriture sur le mur comme sortie du Festin de Balthazar, les enchevêtrements symboliques font une atmosphère irrespirable et sinistre et froide pourtant, corollaires visuels d’une partie de la musique de Richard Strauss, dès la montée venimeuse du trait de clarinette qui ouvre le drame. Ils n’empêchent pourtant pas Romeo Castellucci de suivre très exactement la trame du livret et même ses didascalies.

Il faut voir ce spectacle sublime, beau comme un film d’avant-garde, et se perdre à le déchiffrer, puis écouter ce qu s’y passe : les Viennois comme des fragrances dispersées dans l’espace par Franz Welser-Möst (quitte après à ne pas aller au bout de l’horreur sonore dans la scène finale) font un orchestre africain pas entendu depuis celui génialement suscité à Berlin par Giuseppe Sinopoli.

Et cette Salomé enfant, sublimement chantée de la grâce à la perversion, de l’extase à la damnation, qui par l’impertinence du timbre et la délectation des mots, rappelle rien moins que Ljuba Welitsch (sans les « slavités » de l’ancien Empire) … comment aurais-je pu croire pouvoir la voir mais surtout l’entendre ?

Fatalement, sinon l’Herodias affolante d’Anna Maria Chiuri, bien la mère de sa fille, et le Narraboth solaire de Julian Pregardien, mais qui a la mort dans sa voix dès son premier mot, les autres seront en dessous de la princesse de Judée d’Asmik Grigorian, de l’Hérode distant de John Daszak au pourtant très beau Jochanaan de Gabor Batz qui a l’exacte tessiture du rôle, et donc ses aigus pleins pour prophétiser.

Voyez, écoutez et suivez attentivement l’histoire du cheval-prophète.

LE DISQUE DU JOUR

Richard Strauss (1864-1949)
Salome, Op. 54, TrV 215

Asmik Grigorian, soprano (Salomé)
John Daszak, ténor (Hérode)
Anna Maria Chiuri, mezzo-soprano (Hérodias)
Gabor Bretz, basse (Jochanaan)
Julian Prégardien, ténor (Narraboth)
Avery Amereau, mezzo-soprano Ein Page der Herodias
Matthäus Schmidlechner, ténor Erster Jude
Mathias Frey, ténor Zweiter Jude
Patrick Vogel, ténor Dritter Jude
Jörg Schneider, ténor Vierter Jude / Ein Sklave
David Steffens, basse Fünfter Jude
Tilmann Rönnebeck, basse Erster Nazarener
Paweł Trojak, baryton Zweiter Nazarener
Neven Crnić, baryton Kappadozier
Henning von Schulman, basse Erster Soldat
Dashon Burton, baryton-basse Zweiter Soldat
Wiener Philharmoniker
Franz Welser-Möst, direction
Romeo Castelluci, mise en scène

Un album du label C Major Entertainment 801608
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Photo à la une : © DR