Noces de sang

L’Hypermnestre de Charles-Hubert Gervais est un cas d’école. Ouvrage phare de l’Académie Royale de Musique, repris après sa création en 1716 jusqu’en 1766, cette Tragédie Lyrique emblématique du second souffle du genre après Lully aura résisté à la Révolution Rameau, à la floraison de la Pastorale Héroïque et à l’essor de l’Opéra-Ballet, conservant les canons d’un style en enrichissant sa grammaire d’italianismes savamment intégrés.

Le poème de Lefort, si moderne, dessine des personnages complexes, il est tellement intense qu’il peut se passer des scènes de merveilleux si chères aux amoureux du répertoire lullyste; mieux, lors de la reprise en 1717, Gervais avec l’aide de Simon-Joseph Pellegrin refondit le cinquième acte en lui donnant une fin abrupte, d’un effet saisissant : l’opéra s’arrête net à la mort de Danaüs.

György Vashegyi a choisi de graver les deux versions du cinquième acte, donnant la liberté à l’auditeur de choisir, soulignant surtout l’habileté du métier de Gervais, et son art de la caractérisation. L’ouvrage est somptueux, paré d’un orchestre entêtant de poésie, piqué de danses qui n’ont rien à envier à celles de Rameau, et présente quantité de moments stupéfiants comme l’orage qui éclate à la fin de l’Acte IV alors que les époux des Danaïdes se lamentent sous les poignards assassins de leurs femmes.

Le génie dramatique de cette partition parfaite aura attendu longtemps avant de renaître, elle ne pouvait trouver de meilleurs avocats que ceux réunis sous l’ardent geste de György Vashegyi, à commencer par les époux malheureux : quelle noblesse et quelle puissance dans le chant de Katherine Watson, quelle ardeur et quel sens du pathétique dans la voix de Mathias Vidal qui trouve en Lyncée l’un de ses meilleurs emplois, mais tous sont parfaits, portant au pinacle une partition qui prend sa place au panthéon des Tragédies lyriques. Et si maintenant ce chef si versé dans le Grand Siècle tentait Méduse, premier ouvrage de Gervais où il faisait allégeance à Lully, quelle belle découverte ce serait !

Des découvertes, Katherine Watson nous en offre à foison dans l’admirable album où Alexis Kossenko fait chanter à ses côtés les flûtes et le tendre orchestre des Ambassadeurs. Diction parfaite, voix élancée et pleine qui sait ce que pouvait être un dessus dramatique au Grand Siècle où les mots commandaient aux notes, elle arpente la Tragédie Lyrique de Lully à Montéclair, révélant des pages rares.

Comme les chants de la Pythonisse donnent furieusement envie d’en savoir plus sur le Télèphe de Campra, et comme le peu de Circé que l’on entend exige que l’ouvrage de Desmarest soit gravé ! Le voyage est habilement constitué entre danses et plaintes, nostalgie et passion, à tout prendre l’idéal pour qui voudrait une introduction à cet art si français qui aura patiemment attendu notre temps pour renaître. Dans l’un et l’autre objet, les textes de Benoît Dratwicki sont des modèles.

LE DISQUE DU JOUR

Charles-Hubert Gervais (1671-1744)
Hypermnestre

Katherine Watson, soprano (Hypermnestre)
Mathias Vidal, ténor (Lyncée)
Thomas Dolié, baryton (Danaüs)
Chantal Santon-Jeffery, soprano (Une Égyptienne, Une Naïade, Une Argienne, Une Bergère, Une Coryphée)
Manuel Núñez Camelino, ténor (Un Égyptien, Le Grand Prêtre d’Isis, Un Berger, Un Coryphée)
Juliette Mars, mezzo-soprano (Isis, Une Matelote)
Philippe-Nicolas Martin, baryton (Le Nil, Arcas, L’Ombre de Gélanor)

Purcell Choir
Orfeo Orchestra
György Vashegyi, direction
Un album de 2 CD du label Glossa GCD924007
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L’Opéra du Roi-Soleil

Airs et Danses de Louis de Lully (Orphée), Jean-Baptiste Lully (Acis et Galatée, Psyché, Le Bourgeois gentilhomme), Marin Marais (Alcyone, Ariane et Bacchus), André Campra (Idoménée, L’Europe galante, Télèphe), Henry Desmarest (Circé), Jean-Baptiste Stuck (Thétis et Pélée, Polydore), Michel Pignolet de Montéclair (Les Fêtes de l’été)

Katherine Watson, soprano
Les Ambassadeurs
Alexis Kossenko, direction
Un album du label Aparté AP209
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Photo à la une : la soprano Katherine Watson – Photo : © DR