Echoes from Tanglewood – Episode 4: Happy Birthday Maestro !

Une semaine au célèbre festival de Tanglewood, non loin de Boston, aux États-Unis. Un reportage de François Dru sous la forme de plusieurs cartes postales, à l’occasion du 70è anniversaire du chef d’orchestre Leonard Slatkin (photo ci-dessus).

DERNIÈRE CARTE POSTALE

Leonard [Slatkin] m’avait promis une visite de plus intéressantes à l’issue de son concert anniversaire. La tradition, instaurée par Serge Koussevitzky et perpétuée avec respect par les dirigeants contemporains du Boston Symphony Orchestra (BSO), impose une réception à l’issue de certains concerts en la villa nommée Seranak, lieu où résidait le grand chef russe pendant ses villégiatures estivales. On avait pu m’avertir que c’était un petit évènement, car cette propriété conservée tel un musée est fermée au public et j’ai saisi le pourquoi de la chose assez rapidement…

Seranak est située à cinq minutes en voiture de la Main gate de Tanglewood, dans un superbe décor. Elle surplombe les collines locales et offre une vue somptueuse, depuis sa vaste terrasse, sur les paysages de Stockbridge, son bucolique lac et ses puissants massifs forestiers. La lumière de la pleine lune apportait une teinte des plus romantiques au lieu…

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Seranak, ou la propriété du chef d’orchestre Serge Koussevitzky (1874-1951), tout près de Tanglewood

On peut ressentir une émotion très particulière, une fois franchi la porte de la propriété : tout est resté à l’identique depuis le décès de Koussevitsky en 1951. Un véritable musée donc où l’on sent toujours l’empreinte du maître des lieux. On peut s’assoir sur les divans du salon devant un portrait du maître russe jouant de la contrebasse (archet tenu à l’allemande). Son masque funèbre est installé sur son piano. Je confesse bien volontiers avoir été très impressionné et ne pas avoir bougé pendant quelques longues minutes, goûtant l’atmosphère de ce lieu historique.

Il y a un aspect solennel, un pèlerinage en quelque sorte, à visiter Seranak. Il est d’ailleurs demandé aux hommes de porter une veste dans la maison, vous ne pouvez être en bras de chemise. Un conservateur veille attentivement, et en entendant mon french accent, un peu plus américanisé que celui de Monteux ou Munch je pense, il me proposa gentiment de visiter le premier étage, et je me suis alors retrouvé dans la chambre de Koussevitzky– je pense avoir été le seul de la soirée.

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Le chef d’orchestre Serge Koussevitzky à Seranak

Pas un objet n’a bougé, le curator a ouvert une vaste armoire et pendent encore les queues de pie (fabriquées à Paris selon l’étiquette du col !), vestes blanches de réception, chemises de Koussevitzky. Ses chaussures bicolores, très années 30, sont alignées avec rigueur… Par la taille des vêtements, l’homme ne devait pas être un géant de la Volga – rien à voir avec un Piatigorsky, en photo dans les couloirs attenants. Des livres sont sur la table de nuit, des partitions manuscrites trônent sur des pupitres en bois très élégants. Dans une salle de bains voisine, le linge, à ses initiales, est encore disposé, prêt à l’emploi. On me montre la baignoire miniature de ses deux chiens (Flat et Sharp !)… Un vertige me prend, j’ai l’impression que le maître des lieux va surgir d’un instant à l’autre. Ces minutes furent des plus émouvantes.

Redescendu, l’épouse du conservateur a pu voir mon visage un brin perturbé et m’a gentiment souri. Stéphane Denève, également présent, a confirmé cette émotion très particulière lorsqu’il a eu accès à ce lieu très privé lors de sa première venue au festival. En fait, le curator a peut-être pensé que j’étais artiste en m’accordant ce privilège temporel ? Selon la volonté de Koussevitzky, ce lieu doit demeurer vivant. De jeunes compositeurs – en son temps, Benjamin Britten, en exil, quand éclata la Seconde Guerre mondiale vécut avec Peter Pears dans cette maison – sont appelés en résidence et peuvent bénéficier d’un lieu d’isolement pour travailler en toute quiétude.

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Trois chefs d’orchestre de génie, de gauche à droite : Pierre Monteux (1875-1964), Serge Koussevitzky (1874-1951), et Charles Munch (1891-1968). Tous trois ont été directeur musical du Boston Symphony Orchestra. Monteux, de 1919 à 1924. Koussevitzky de 1924 à 1949, et Munch, de 1949 à 1962.

Au cours du dîner, Mark Volpe a prononcé un très sympathique et casual discours afin d’honorer Leonard [Slatkin] en ce lieu. Anecdotes et petites histoires backstage ont fleuri cet hommage du patron du BSO à l’un des meilleurs chefs américains. Leonard ne put que répondre à cette amicale provocation verbale et, très ému, a ensuite évoqué sa fructueuse relation avec l’orchestre, débutée en 1980, avant de chaleureusement remercier ses amis et collègues présents pour cette soirée. Je connais un brin Leonard et il n’est pas à homme à dévoiler ses sentiments ; il est assez timide en définitive, et je sais que ce discours, entouré de ses amis étudiants de Juilliard, fut très émouvant. Je fus aussi très surpris de constater le respect de l’équipe du BSO pour un guest conductor ainsi que l’amitié qui peut régner entre deux formations comme Boston et le Detroit Symphony Orchestra (Ann Parsons, CEO du DSO était aussi présente). Je ne suis vraiment pas sûr que cette occurrence soit possible en France, pays qui ne connaît pas de league importante et puissante comme aux États-Unis…

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Le jeune William Bolcom, né le 26 mai 1938 à Seattle

Quant au concert anniversaire, Leonard, avec l’aval de Tony Fogg (Artistic Administrator de l’orchestre), avait décidé de présenter une première partie américaine avec une création de William Bolcom – un élève de Nadia Boulanger et Darius Milhaud ! Bill Bolcom est un ami de longue date de Leonard ; JFK était encore vivant quand ils se sont rencontrés…

Cette nouvelle partition du compositeur sera donnée à Lyon en septembre prochain : il s’agit d’une ouverture de concert, intitulée Circus Overture : into the eight decade, sorte de pastiche de Stravinski et Milhaud avec citation, en forme de clin d’œil, de la Marche funèbre de Chopin confiée à un trombone en goguette et sourdine au milieu de l’orchestre… Leonard avait demandé à Bolcom de ne surtout pas citer « Happy Birthday ». Il a été entendu mais son ami de longue date s’est quelque peu amusé avec le poids des ans… (Vous pouvez consulter le catalogue discographique New World Records, pour découvrir plus en détail l’oeuvre de William Bolcom)

Donner la parole à des compositeurs rares ou contemporains, c’est l’un des fondements artistiques du Festival de Tanglewood. Slatkin avait ainsi choisi de diriger The Winter’s Past de Wayne Barlow, pour hautbois solo et cordes, composée en 1938. Je vous rassure, personne ici, ne connaissait cette pièce, ni même le patronyme de Barlow. Sur le programme figurait un très amusant « first BSO performance of The Winter’s Past and also the first at Tanglewood, as well as the first BSO performance for any music from Wayne Barlow ». Leonard m’avait expliqué que Howard Hanson – les fans du label Mercury connaissent le nom de ce chef d’orchestre de Rochester – avait commandé à plusieurs professeurs de son Eastman School of Music, des miniatures, simples à entendre – las de devoir dirigé des œuvres trop longues et dissonantes (sic). Ce Winter’s Past est effectivement laconique, mais joli : proche de l’ambiance du Quiet Cityd’Aaron Copland. La partition fut défendue avec maîtrise et finesse par John Ferrillo, l’un des deux principal du BSO, qui est connu à New York pour avoir été le hautbois solo du Met pendant près de deux décennies. Une chose est à peu près certaine : Leonard est certainement sans égal aux États-Unis pour sa connaissance du répertoire symphonique américain. Seul un David Zinman – qui assistait d’ailleurs au concert de son collègue – pourrait rivaliser je pense.

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Le violoniste Gil Shaham

Vint le tour de la superstar Gil Shaham. Les étudiants étaient debout, à la limite du Shed, applaudissant à tout rompre l’entrée de Gil. Les parisiens s’en souviennent – Gil avait donné le très rare Concerto de Barber avec l’Orchestre de Paris en 2013 à Pleyel – et les mélomanes vénèrent son enregistrement réalisé avec Previn et le LSO (DGG). Faut-il préciser que ce fut juste somptueux. Gil possède tout : virtuosité, sonorité incroyable, intonation, lyrisme et surtout une fraîcheur dans la lecture de cette œuvre magnifique et essentielle du répertoire violonistique avec orchestre. Détail amusant, pour son bis, un Bach pour violon seul (Gavotte et Rondeau), il ornementait ad libitum, ce qui fit sourire la concertmaster du BSO. La partition du Barber est assez redoutable pour le chef, et Leonard est un véritable spécialiste de la partition. Avec David Zinman, il est certainement le chef le plus recherché pour cet Opus 14 de Barber, compositeur toujours réduit au seul pour Adagio pour cordes en France ! A quand sa Vanessa dirigée par Slatkin !

Leonard Slatkin a donc pu servir Gil avec finesse et efficacité. Après l’entracte, à nouveau une partition maîtrisée à haut niveau par Leonard, les Enigma Variationsde Elgar. Comme j’ai pu déjà le préciser, il connaît tous les trucs de cette formidable œuvre, et pour cette version, il a pris son temps pour dresser le premier thème et a su ciseler, à merveille, la succession des portraits sonores. L’occasion de saluer la beauté sonore du BSO : formation à la sonorité très claire, à la délicate palette de couleurs mais aussi à la puissance de feu redoutable quand les cuivres doivent rugir – je comprends pourquoi Bernard Haitink adorait donner Ravel et Debussy à Boston !

Pour voir les concerts du Festival de Tanglewood, cliquez-ici !

LA SÉLECTION DISCOGRAPHIQUE

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BARBER
Concerto pour violon, Op. 14
KORNGOLD
Concerto pour violon, Op. 35

Gil Shaham, violon
London Symphony Orchestra
André Previn


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Vanessa, opéra

Christine Brewer, soprano (Vanessa)
Susan Graham, mezzo-soprano (Erika)
Catherine Wyn-Rogers, mezzo-soprano (The Old Baroness)
William Burden, ténor (Anatol)

BBC Singers, BBC Symphony Orchestra
Leonard Slatkin, direction
Recording location and dates: Barbican Centre, London, 15 & 16 November 2003
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Symphonies, Variations Enigma
Ouvertures, Sérénade
Concerto pour violoncelle

Saint Louis Symphony Orchestra, London Philharmonic Orchestra
Leonard Slatkin, direction


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Photo à la une : (c) DR