Echoes from Tanglewood – Episode 3: L’autre Andris

Une semaine au célèbre festival de Tanglewood, non loin de Boston, aux États-Unis. Un reportage de François Dru sous la forme de plusieurs cartes postales, à l’occasion du 70è anniversaire du chef d’orchestre Leonard Slatkin.

TROISIÈME CARTE POSTALE

Ceux qui se plaignent de la mondialisation ne doivent surtout pas travailler dans le tout petit milieu de la musique classique. Les non-initiés aux étranges mœurs de notre rare espèce auraient certainement beaucoup de difficultés à comprendre que l’on puisse prendre un avion, un train et un taxi pour retrouver ses collègues parisiens, ainsi que de saltimbanques/concertistes itinérants free-lance qui passent plus de temps dans les aéroports qu’en leur foyer, face à la cheminée. Je n’échappe pas à la règle. Une nouvelle fois, je croise à Tanglewood musiciens et agents que j’ai laissés à Paris en juin dernier – sachant que la vie musicale est stoppée d’un trait, début juillet, en la capitale.

Parmi mes collègues, j’ai retrouvé avec grand plaisir un jeune chef letton qui a la particularité de travailler entre Riga, Boston et Paris. Quand on est l’assistant de Paavo Järvi, l’homme aux cinq orchestres, tout cela est d’une banalité confondante… Le Boston Symphony Orchestra (BSO) des années 2010 affiche la particularité d’être abonné aux Andris lettons de la baguette – et pour plus de perversité, aux Andris lettons ex-trompettistes ! Vous connaissez très certainement le nom d’Andris Nelsons, le « nouveau » directeur musical du BSO, l’un de ces jeunes chefs qui travaillent à un très haut niveau international. Il sera certainement dans la dernière liste pour succéder à Sir Simon aux Berliner Philharmoniker…

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Le chef d’orchestre letton Andris Poga

L’autre Andris est tout aussi généreux que passionné de musique. Âgé de trente-quatre ans, Andris Poga, tout juste nommé directeur musical de l’Orchestre National de Lettonie, est l’assistant parisien de Paavo Järvi depuis 2011, et officie sur le même poste (très important aux États-Unis) au Boston Symphony. Andris a été propulsé sur les scènes internationales en 2010 suite à sa victoire au Concours International Evgeny Svetlanov.

Je vois de suite les commentaires persifleurs du type : « bien sûr, à Boston, c’est Andris N qui a placé Andris P ! » Point du tout, Andris Poga a remporté le Concours de recrutement bien avant qu’Andris Nelsons ne soit nommé Directeur musical de l’orchestre. Rappelons que Mark Volpe, le Directeur général du Boston Symphony Orchestra, a pris un sage temps avant de désigner officiellement un successeur à James Levine. Beaucoup d’options furent envisagées et la capture d’Andris N fut un véritable coup de maître.

Andris Poga a été sollicité pour le concert parade de mardi soir, afin de diriger l’Ouverture de fête de Chostakovitch. Face à l’incroyable section des cuivres du Boston Symphony Orchestra, l’exercice peut être plaisant. La première lecture lors de la répétition du BSO avec Poga était en réalité assez relâchée – il faut noter que pour un concert ici, à Tanglewood, il y a deux uniques répétitions la veille ! Et le jour du concert, il y une autre répétition avec un chef différent sur le programme suivant. (Par exemple, ce soir Leonard [Slatkin] dirige son concert, et ce matin David Zinman travaillait le sien].

Lors de cette première lecture, Andris confiait donc vouloir un Chostakovitch plus aiguisé, plus incisif. Face à une formation légendaire tel que le Boston Symphony Orchestra, il est impensable d’afficher la cavalière attitude du grand changement en trois coups de baguette.

Andris le sait parfaitement, il possède assez d’expérience pour ne pas se mettre la meute de l’orchestre à dos. Il décida de laisser faire et, une fois la machine lancée, imprima enfin sa marque par quelques remarques diplomatiques bien pertinentes. Le dernier filage était nettement plus enlevé et spirituel. Le soir du concert, Andris avait la lourde tâche de lancer la soirée. Avec grande maîtrise, et sans s’agiter tel un marsupilami au pupitre, il imprima sa marque et put communiquer toute son énergie. Succès garanti et respect affiché par les musiciens dans les couloirs lors des changements de plateau…

Hier, autre exercice, Andris Poga a endossé ses habits d’assistant pour Leonard Slatkin, relayant avec attention les différents problèmes de balance sur le Concerto pour violon de Samuel Barber. Je n’avais jamais noté que l’orchestration de ce concerto était puissante ; dans une acoustique de plein air, comme au Koussevitsky Shed, le violon peut être couvert aisément.

Ce fut l’occasion pour moi de revoir un prince du violon, Gil Shaham, toujours aussi sympathique et souriant. Il est incroyable de constater le bien-être ressenti au contact de ce fabuleux musicien ; il est toujours heureux d’être là, positive en permanence, même quand il doit courir, violon à la main, après ses enfants qui sont en train de jouer au football (soccer) sur les pelouses du parc.

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Le violoniste Gil Shaham

Dans la loge de Leonard, Gil prend des nouvelles de tout le monde, s’enquiert de l’état de santé de Hilary Hahn, en convalescence cet été, après des soucis musculaires. J’aurais aimé croiser Hilary à Tanglewood. Cela sera pour une autre circonstance. Cette année, nous nous sommes vus à Detroit (elle jouait Nielsen), Francfort avec Paavo (Brahms) et finalement Paris avec le Philharmonique de la Radio et Mikko Franck (Concerto de Rautavaara!). A Francfort, où j’allais rejoindre pour quelques jours Paavo [au printemps dernier], Hilary fut très surprise de me voir et a pu me lancer un « mais tu es partout ! . J’ai juste répondu par une sympathique accolade, et par un « mais nous sommes plusieurs ! » .

Dans quelques heures, Leonard dirigera donc son grand concert anniversaire avec un programme Bolcom, Barber et Elgar. À la seconde et dernière répétition hier après-midi, j’ai pu saisir que le mandat de Leonard à la tête du BBCSO ne fut pas une simple courtoisie. Il connaît parfaitement les subtilités des Variations Enigma, partition à amicales énigmes, qui dépeint si bien les caractères et tempéraments so british… Son imitation du chien d’Elgar pourrait figurer dans les meilleurs shows. Il m’a promis de visiter, ce soir, la maison/musée de Koussevitsky. Selon ses dires, rien n’a changé depuis le décès du grand chef…

Concernant Andris Poga – qui a préparé sa veste blanche au cas où … c’est le hasardeux statut de l’assistant – je connais son emploi du temps du jour : rester dans sa chambre d’hôtel en compagnie de Richard Strauss. [Au même moment, j’allais me promener tout près des magnifiques collines environnantes, comprenant mieux encore le sens des Three Places in New England, de Charles Ives.] Car voilà bien l’excellente nouvelle du moment : Andris va diriger un programme Strauss à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Munich, en octobre prochain. Ainsi va le business de la musique : l’assistant remplace les malades et, comme dans le cas de Lorin Maazel, ceux qui ne reviendront plus sur un podium… Quand je vous disais que ce jeune chef est à l’aube d’une belle carrière !

Photos : (c) DR