Le pianiste de Rachmaninov

Sergio Fiorentino avait en quelque sorte renoncé à sa carrière, redevenu professeur au Conservatoire de Naples, y perpétuant l’enseignement de son maître Paolo Denza, offrant à ses élèves rien moins que les secrets de Ferruccio Busoni. Mais il n’avait pas renoncé à son art, donnant en ordre dispersé des concerts en Italie, parfois à Londres. Gianni Cesarini osa lui proposer de jouer en quatre concerts – chacun espacé d’une semaine durant le mois de septembre 1987 – l’intégrale de l’œuvre pour piano solo de Rachmaninov et Fiorentino, réflexion faite, eut l’audace d’accepter.

Cette folie, la voici enfin éditée : la bravoure pianistique s’y allie à un sens des couleurs incroyable, une noblesse du style, une élégance qui excluent tout pathos. Et si c’était la meilleure intégrale jamais enregistré du legs pianistique de Rachmaninov ? Les Etudes-tableaux montrent le virtuose sans tapage qu’était Fiorentino, tout chante dans cet immense clavier qui exhausse les polyphonies et envole les rythmes. Les Préludes eux-mêmes quittent leur cadre de miniature pour devenir à chaque fois de vrais univers, et les deux Sonates, jouées absolument à dix doigts, sonnent telles des symphonies de piano.

Pourtant, c’est aux deux cahiers de Variations, aux cycles de fantaisie, et aux pièces éparses que je reviens sans cesse, tant la poésie du toucher, l’élégance des phrasés, la simple capacité d’évocation de cet art de haute école les transfigurent. La prise de son capte à merveille le magnifique Steinway boisé de l’Auditorium Domenico Scarlatti de la RAI de Naples.

Rhine Classics ajoutent deux bonus considérables. La captation de la version originale du Premier Concerto qui documente l’art du jeune Fiorentino (nous sommes le 27 septembre 1958) : il faut entendre comment il éclaire le petit intermezzo à la fin de l’Andante, sotto voce, et avec quel brio, il transporte jusqu’à la folie l’Allegro vivace. Autre merveille, la Rhapsodie sur un thème de Paganini enregistrée cette fois l’année même où il quitte le Conservatoire et repend le chemin des théâtres, d’une fantaisie excitante au possible.

Les concerts reprirent donc à compter de cette année 1991, menant le pianiste octogénaire jusqu’à Taïwan pour ce qui devait être une de ses ultimes apparitions. Sommet de ce concert, dans une sonorité claire et pourtant ombreuse, l’Opus 110, entre prière et exaltation, vraie élévation spirituelle inoubliable dès qu’on l’a entendue.

La 2e Sonate de Scriabine, celle de Rachmaninov (toujours dans sa seconde mouture) illustrent encore son tropisme russe, alors qu’il fait tout autant rugir son clavier dans la spectaculaire transcription du Prélude et Fugue en ré majeur BWV 532 de Bach signée Busoni auquel il ajoute ses propres agréments.

Les bis sont prodigieux, un Moszkowski, un Mendelssohn venus d’un autre temps et deux Valses d’une élégance folle, qui nous rappellent avec quel art consommé il joua toujours son Chopin.

Edition soignée, son splendide, iconographie abondante, appareil critique remarquable, magnifique ouvrage d’un éditeur passionné. J’espère que suivront d’autres documents illustrant l’art de ce géant du piano que l’on n’en finit pas de redécouvrir.

LE DISQUE DU JOUR


Sergio Fiorentino Edition
Vol. 1

Sergei Rachmaninov
(1873-1943)
5 Morceaux de fantaisie, Op. 3
10 Préludes, Op. 23
13 Préludes, Op. 32
Enregistré le 11 septembre 1987

7 Morceaux de salon, Op. 10
8 Etudes-tableaux, Op. 33
9 Etudes-tableaux, Op. 39
Variations sur un thème de Corelli, Op. 42
Enregistré le 23 septembre 1987

6 Moments musicaux, Op. 16
4 Morceaux (1887)
3 Nocturnes (1887-1888)
Morceau (1884)
Morceau de fantaisie en sol mineur « Delmo » (1899)
Fragments en la bémol majeur (1917)
Esquisse orientale en si bémol majeur (1917)
Daisies, Op. 38 No. 3 (arr. Rachmaninov)
Lilacs, Op. 21 No. 5 (arr. Rachmaninov)
Vocalise, Op. 34 No. 14 (arr. Sergio Fiorentino, 1962)

Suite d’après la « Partita pour violon seul No. 3 en mi majeur, BWV 1006 » de J. S. Bach (I. Preludio – III. Gavotte – VII. Gigue, arr. Rachmaninov)
Enregistré le 17 septembre 1987

Sonate pour piano No. 1 en ré mineur, Op. 28
Sonate pour piano No. 2 en si bémol mineur, Op. 36 (version 1931)
Variations sur un thème de Chopin, Op. 22

Enregistré le 29 septembre 1987

Concerto pour piano et orchestre No. 1 en fa dièse mineur, Op. 1
Orchestra Sinfonica della RAI di RomaCarlo Franci, direction
Enregistré à l’Auditorium de la RAI de Roma le 27 septembre 1958

Rhapsodie sur un thème de Paganini, Op. 43
Orch. dell’Acc. Nazionale di Santa CeciliaVladimir Fedosseiev, direction
Enregistré à l’Auditorium di Via Conciliazione de Rome le 21 décembre 1991

Vocalise, Op. 34 No. 14 (arr. Sergio Fiorentino)
Enregistré au Teatro Bellini de Naples le 20 février 1989

et aussi :
Fritz Kreisler (1875-1962)
Liebesleid (arr. Rachmaninov)
Liebesfreud (arr. Rachmaninov)
Felix Mendelssohn-Bartholdy (1809-1847)
Scherzo du « Songe d’une nuit d’été » (arr. Rachmaninov)
etc.

Sergio Fiorentino, piano
Un coffret de 6 CD du label Rhine Classics RH-006
Acheter l’album sur le site du label Rhine Classics

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Sergio Fiorentino Edition
Vol. 2
Live in Taiwan, 1998

Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Prélude et Fugue en ré majeur, BWV 532 (arr. Busoni, BV B 20; rév. Fiorentino)
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Sonate pour piano No. 31 en la bémol majeur, Op. 110
Alexandre Scriabine (1872-1915)
Sonate pour piano No. 2 en sol dièse mineur, Op. 19 « Sonate-Fantaisie »
Sergei Rachmaninov (1873-1943)
Sonate pour piano No. 2 en si bémol mineur, Op. 36 (version 1931)
Frédéric Chopin (1810-1849)
Valse en ut dièse mineur, Op. 64 No. 2
Valse en ré bémol majeur, Op. 64 No. 1 « Valse-minute »
Moritz Moszkowski (1854-1925)
Presto en fa majeur (No. 6 des « Etudes de virtuosité, Op. 72 »)
Felix Mendelssohn-Bartholdy (1809-1847)
La Fileuse (No. 4 des « Lieder ohne Worte, Livre 6, Op. 67 »)

Sergio Fiorentino, piano
Un album du label Rhine Classics RH-009
Acheter l’album sur le site du label Rhine Classics

Photo à la une : le pianiste Sergio Fiorentino – Photo : © DR