Études fauves

Que sont les Études de Debussy ? Des poèmes de couleurs, des Bonnard en musique où les teintes saturent un clavier qui caracole, claironne, valse ou sombre, et dont les spécificités techniques sont, comme chez Chopin, comme chez Liszt, des prétextes à repousser les limites de l’instrument en même temps que celles de celui qui le meut.

La virtuosité naturelle, et donc transcendante, de Joseph Moog lui aurait été d’un médiocre secours s’il n’avait eu qu’elle face à ces textes aussi impérieux qu’elliptiques. C’est justement parce qu’il en possède les arrière-plans, la corne d’abondance harmonique, la palette chaude où vibrent les incarnats, les violets, les safrans, les cobalts, que sa technique lui permet d’exposer tout le texte, de nous le faire entendre si moderne que déjà tout le Messiaen des Vingt Regards s’y trouve.

Les moments d’abandon où Debussy fait rêver son clavier, où il l’assaisonne de clairons lointains, de syrinx diffractés dans le vent sont prodigieux de souplesse féline, d’imagination de timbres, de suggestions, et évidemment les études strictement cruelles – écoutez le non-fléchissement de Pour les accords – explosent comme d’un trop plein de rythmes et de couleurs. Joseph Moog entend le cahier comme un manifeste de la modernité : Debussy, rongé par son cancer, y a radicalisé son langage pianistique autant qu’il l’avait fait pour son orchestre dans Jeux.

Merveille ajoutée, l’Étude retrouvée poudroie ses soleils où danse et rit un faune ivre.

Il place dans le même axe novateur le Gaspard de la nuit de Ravel, écrit encore loin des précipices de la guerre (1909) mais qui sous ses doigts semble près d’y sombrer, lecture inquiète, fluide et pourtant tendue, avec quelque chose de scriabinien dans les timbres, les inflexions…

Si demain, il pouvait nous donner les Images, les Estampes, Miroirs, quel beau second volume dans l’univers du piano français cela pourrait nous faire !

LE DISQUE DU JOUR

Claude Debussy
(1862-1918)
Études, Livres I & II, L. 143
Étude retrouvée (real. Roy Howat)
Maurice Ravel
(1875-1918)
Gaspard de la nuit, M. 55

Joseph Moog, piano

Un album du label Onyx Classics 4204
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Photo à la une : le pianiste Joseph Moog – Photo : © Fernand Reisen