Une rencontre avec William Grant Naboré

Journées chaudes à Rome ! Les températures avoisinaient le 35°C, alors qu’à Paris un seul petit 25°C réjouissait les cœurs. A Rome, la ville vit, frémit le soir, jusque tard dans le début de la nuit. C’est très déconcertant de se jeter à nouveau dans ce bol d’air, nouveau, bien qu’étouffant, et parfois désagréable. Il y a cependant ces havres de paix, discrets, non courus par la foule, tel ce Café qui juxtapose le cloître de Bramante, impossibles à penser même à Paris.

Je partais pour Rome pour rencontrer le grand pianiste, et pédagogue William Grant Naboré, président de l’Académie de Côme, où viennent étudier aujourd’hui les pianistes en passe de devenir les plus talentueux de leur génération. Naboré dispense son art, et conseille très régulièrement les pianistes les plus importants d’aujourd’hui. Pas beaucoup de Français dans le lot, en dehors de François Dumont, qu’il admire beaucoup.

Il entoure avec tendresse et affection beaucoup d’autres noms : le pianiste italien d’origine iranienne Alessandro Deljavan, le Coréen William Youn, le Cubain Marcos Madrigal, l’Américaine Erin Hales ou encore Yuliana Avdeeva, lauréat du Premier Prix au dernier Concours Chopin en 2010.

alessandro_deljavan_pic L’élimination lors du Concours Cliburn, en 2013, d’Alessandro Deljavan, a surpris tout le monde, et en particulier William Grant Naboré, car pour lui, comme pour d’autres illustres pédagogues tels que Bashkirov, Deljavan est sans doute l’un des rares génies du piano d’aujourd’hui. A regarder ses interprétations du Concours Cliburn, comme ses Études Op. 25 de Chopin, ses Variations de Mozart (petit bijou!), ou encore le début de sa Fantaisie de Schumann, tout, dans ce jeu de piano, respire la finesse, le naturel. Articulations princières, phrasés d’une intensité lyrique inimaginable, et une très grande liberté narrative, propre aux grands musiciens-interprètes. Une magnifique découverte pour moi !

william_youn_pic William Youn est aussi un jeune pianiste à suivre, qui vient de réaliser un premier volume Mozart, merveilleux, pour le label Oehms. J’adore cette sonorité princière (on y décèle d’ailleurs le souvenir de la liberté musicale que distille dans son enseignement Naboré, issue d’une longue lignée de musiciens du XXe siècle). Une intégrale des Sonates de Mozart par Youn est apparemment prévue avec l’éditeur allemand, on est bien pressé d’entendre la suite !

erin_hales_pic Pendant ces deux jours à Rome, j’ai pu entendre une première version d’un master d’une nouvelle interprétation (à paraître sur le propre label de l’Académie) du Clavier bien Tempéré de Bach, par Erin Hales. Je vous assure, c’est totalement ébouriffant! Voilà un Bach qui vit, qui respire, et qui témoigne d’une imagination dans les registres (voire les registrations) assez incroyable, et d’une vivacité polyphonique rare. Je suis pour ma part impatient d’écouter l’intégralité du recueil. Je n’avais pas entendu un tel plaisir de jouer Bach depuis de très anciennes interprétations, tels que Feinberg par exemple. Même Schiff, que j’admire beaucoup dans ce répertoire depuis un concert assez mémorable avec les 6 Partitas de Bach au TCE à Paris, semble, dans sa récente version chez ECM, en dépit de quelques diptyques fort réussis, un rien dogmatique.

marcos_madrigal_pic Pour William Grant Naboré, Marcos Madrigal est sans doute celui qui peut succéder le mieux dans le répertoire hispanique à Alicia de Larrocha. Des projets autour des Goyescas de Granados semblent se tramer ! Et sans doute aussi une intégrale de l’oeuvre pour piano de Lecuona.

J’ai découvert d’autres noms aussi : la jeune Italienne Alessandra Ammara, riche d’une discographie de quatre albums pour l’éditeur italien Arts Productions (éditeur qui publie des SACD) dont Ravel (Sonatine, Miroirs, Gaspard) et Schumann (Davidsbündlertänze, Carnaval, Album für die Jugend).

Et puis un magnifique album Mozart de William Grant Naboré lui-même, qu’il faudrait rééditer, car somptueux : liberté dans les phrasés, beauté de la sonorité. S’y dévoile un art du piano, où pointe l’art de son illustre pédagogue, Carlo Zecchi. Ou encore une curiosité en termes de répertoires, et page très difficile, la Troisième Sonate (la « Kennedy-Sonata ») de Roger Sessions, qu’il avait gravée il y a vingt ans en Suisse pour le label Doron.

Que de découvertes!

PLAISIRS SONORES

– la discographie (parcellaire) de William Grant Naboré, et plus particulièrement ici ses interprétations de musiques américaines du XXe siècle

– une vidéo du Concours Cliburn de l’étonnant Alessandro Deljavan 

– le disque Mozart, chez Oehms Classics, de William Youn, et son très bel album Schubert chez Ars Produktion.

– la discographie d’Alessandra Amara sur Qobuz, cliquez-ici

– le disque Chopin de François Dumont, sous label Artalinna, ici