Un concerto pour les pianistes ? Dana Suesse, l’enfant terrible de la musique américaine, pourtant élève d’Alexandre Siloti et de Nadia Boulanger, aura achevé au cœur de la Seconde Guerre mondiale un grand concerto en quatre mouvements qui surprend par ses audaces d’orchestration : le vibraphone n’y est pas pour peu, mais tout au long les alliages étonneront.
C’était son premier travail d’orchestration, Ferde Grofé s’étant chargé d’habiller le concerto pour piano « en trois rythmes » (1931) que lui avait commandé Paul Whiteman. Comme elles semblent loin les années de vaudeville, quasi oublié le compositeur de tant de songs pour Broadway que la veine absolument romantique de l’œuvre semble vouloir nier. Dana Suesse se fera en effet un nom dans le domaine de la musique « sérieuse », au point d’être désignée par la presse américaine la « Girl Gershwin ». Ludmila Berlinskaya et Arthur Ancelle se régalent de cette écriture brillante qui achève de rendre l’œuvre aussi inclassable qu’attachante et donne envie d’entendre le Concerto romantico, les Valses symphoniques, la Suite cocktail, parmi d’autres.
Le 21 janvier 1957, George Szell créait à Cleveland le Deuxième Concerto composé par Victor Babin à l’usage du duo qu’il formait avec son épouse Vitya Vronsky. Gageons que la création en a été radiodiffusée et qu’une bande d’archives sera un jour exhumée. L’œuvre est passionnante, complexe, écrite sur le fil, souvent extrêmement tendue, alternant des moments sombres (on pense parfois à Copland durant l’admirable Moderato) avec un motorisme moderniste saisissant (le scherzo qui suit !, noté Molto vivo e ben ritmico, au cours duquel des épisodes piquants rappellent le Prokofiev de Sarcasmes). Les exigences sont à la mesure de la virtuosité de leurs créateurs. Aujourd’hui, Ludmila Berlinskaya et Arthur Ancelle se jouant des pièges, mettant partout de la poésie et une touche tour à tour légère ou profonde.
Au centre du disque, peut-être le chef-d’œuvre de l’album, la Suite pour les seuls deux pianos où Amy Beach tisse une toile capricieuse et poétique sur des mélodies populaires irlandaises ; écoutez seulement le savoureux giocoso d’Old-time Peasant Dance, les rêveries emperlées de petites notes puis l’orage de The Ancient Cabin…
LE DISQUE DU JOUR
Nadine Dana Suesse (1909-1987)
Concerto pour 2 pianos et orchestre
Amy Beach (1867-1944)
Suite pour 2 pianos sur d’anciennes mélodies irlandaises, Op. 104
Victor Babin (1908-1972)
Concerto pour 2 pianos et orchestre No. 2
Ludmila Berlinskaya, piano
Arthur Ancelle, piano
Orchestre Victor Hugo
Jean-François Verdier, direction (Suesse)
Laurent Comte, direction (Babin)
Un album du label Alpha Classics 1171
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Photo à la une : les pianistes Ludmila Berlinskaya et Arthur Ancelle – Photo : © Ira Polyarnaya