Le laboratoire

Que faire après les échappées-belles agrestes de la Quatrième ? Après tout, Gustav Mahler n’en serait pas à sa première invention d’un nouveau monde. Cette fois il lui faudra cinq mouvements, et le seul orchestre, mais quel !

De tous ses opus, le plus piégeux, redoutable pour la mise en place et l’intonation, d’une polyphonie aussi inextricable que flamboyante, avec soudain un ailleurs, cet Adagietto, épure pour les seules cordes. Un monde ? Plutôt une cosmogonie, dont le centre serait ce Scherzo suractif, klimtien, musique de vertige dont Gary Bertini saisit toute la folie. Son cycle Mahler, gravé pour Electrola à quelques encablures avec les forces de Cologne, reste trop peu couru, c’est pourtant l’un des plus achevés, particulièrement pour la trilogie strictement orchestrale. À Stuttgart, il semble gagné par une ivresse supplémentaire, une ardeur à faire tonner les marches, à dynamiter les valses, du pur expressionisme, et une façon de manifeste dont la violence laisse sans voix.

Quarante-trois ans plus tard, Paavo Järvi gravait sa seconde version de la Cinquième. Un premier essai, pour la vidéo et avec ses Francfortois, m’avait laissé sur le bord du chemin, comme d’ailleurs l’ensemble du cycle et même ce qu’il aura enregistré par ailleurs d’un compositeur dont il semblait distant, sinon lors d’une remarquable Sixième avec la NHK (Sony Classical), signe que le temps de Mahler lui était venu.

Dans l’espace immense de la Tonhalle, il érige une arche parfaite, rappelant qu’il entend son Mahler dans le sillage des cathédrales de Bruckner. La perfection de la structure s’accorde avec une mise à distance de l’espressivo, la puissance contenue, la maîtrise magistrale des transitions, le souci à chaque mouvement d’ouvrir une nouvelle porte, façon de ne pas négliger le fascinant laboratoire où l’on croit voir Mahler fondant sa musique dans des cornues bouillonnantes, la hauteur de vue de l’ensemble commandent à l’éditeur de ne pas faire si peu comme il le fit pour le cycle Bruckner des mêmes : il est temps pour Paavo Järvi et sa Tonhalle de graver toutes les symphonies, Das Lied von der Erde, Das Klagende Lied, les cycles de Lieder, tout l’univers Mahler.

LE DISQUE DU JOUR

Gustav Mahler (1860-1911)
Symphonie No. 5

Radio-Sinfonieorchester Stuttgart des SWR
Gary Bertini, direction

Un album du label SWR Music SWR10164CD
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Gustav Mahler (1860-1911)
Symphonie No. 5

Tonhalle-Orchester Zürich
Paavo Järvi, direction

Un album du label Alpha Classics 1127
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Photo à la une : Mahler et son épouse Alma en 1903 à Bâle –
Photo : © DR