Apogée américaine

Débarqué à Cleveland après la décennie Maazel qui avait consacré le brio d’une phalange que George Szell avait magnifiée, Christoph von Dohnányi s’émerveilla du quatuor. Ah oui !, Szell avait formé un orchestre Mozart dont Lorin Maazel n’avait pas bousculé l’équilibre, la radiance, l’élan rythmique. Cette balance parfaite, il la sacrera avec les six grandes Symphonies, ensemble parfait qui n’a pris une ride, par quoi s’ouvre la belle boîte que Decca offre pour les 95 printemps de ce maître trop peu connu. S’y ajouteront deux microsillons de divers concertos pour faire entendre les solistes de l’orchestre, cordes ou bois, écoutez seulement le Concerto pour clarinette selon Franklin Cohen : magique !

Les Symphonies de Schumann suivront, première incursion dans le grand répertoire romantique où Dohnányi devra imposer un autre regard que celui de Szell – jusque-là Lorin Maazel avait évité de doublonner le répertoire discographique marqué au fer rouge par le Tchèque – et y parviendra, plus de profondeur, plus de basse, plus de fièvre. Le style Dohnányi s’affirma d’emblée, jusque dans des DvořákSymphonies, Danses slaves – à la lyrique surprenante, comme voulus à rebours de ceux de Szell, d’abord flamboyants. Secret : ne pas sacrifier la profondeur harmonique et les polyphonies à la furia des rythmes. Il fera de même plus tard dans un cycle Brahms pour Teldec : tous les Cleveland de Dohnányi ne sont pas chez Decca, certains même chez Telarc.

Des univers parallèles, explorés à la marge des temps de Szell et de Maazel, et reconduisant au grand répertoire de l’ancien Empire et à celui de son anéantissement, seront le grand œuvre américain de Christoph von Dohnányi : un cycle Bruckner, dont il ôte les deux premières symphonies (Sergiu Celibidache ne faisait pas autrement), rappelle par sa perfection qu’il dirigea les œuvres du Ménestrel de Dieu dès sa jeunesse (des gravures captées par la Radio de Berlin des 5e et 6e Symphonies paraissent dans la série Bruckner de SOMM), une ébauche de ce qui devait être un projet Mahler plus vaste (aurait-il gravé la 8e qu’il méjugeait, qui sait ?) sera abrégé par la crise financière des années 1990, mais cette Sixième Symphonie incendiaire, cette Quatrième séraphique (avec Dawn Upshaw, juste exotique comme il faut), une Neuvième quasi philosophique, une Titan ardente et poétique tour à tour, plus qu’une Cinquième un brin trop surveillée, font pleurer celles qui manquent (cherchez la Résurrection publiée par l’orchestre dans un coffret hommage).

Ajourné aussi, le Ring qui ne dépassera pas Walküre, perte mineure, le chant wagnérien était alors à l’étiage, mais Der Rheingold est assez fabuleux (Schreier en Mime !). Le meilleur Wagner de Dohnányi restera donc son Fliegende Holländer (mais avec les Wiener, et la Senta de Behrens !).

Sommet de l’ensemble, les œuvres de la Seconde Ecole de Vienne (trop rares ici, cherchez Erwartung et la Lulu-Suite avec Anja Silja et les Wiener Philharmoniker), dont la décantation, les abstractions de timbres n’oublient jamais une morbidezza toute mahlérienne qui envahira aussi l’Adagio de la Deuxième Symphonie de Karl Amadeus Hartmann que l’édition princeps plaçait en postlude la Neuvième Symphonie de Gustav Mahler. Ecoutez d’abord la version originale des 5 Orchesterstücke de Schönberg, avant de vous laisser hypnotiser par les Webern : ce Im Sommerwind, qui l’a entendu ne l’oublie plus.

Les marges de cette somme sont belles : Symphonie fantastique comme un drame romantique, Charles Ives décanté – la Quatrième Symphonie dame le pion à toutes les autres sans exception – côté Concerto pour orchestre plutôt Lutosławski que Bartók, côté Bartók plutôt la Musique pour cordes, percussion et célesta.

Cinq splendeurs hors normes : le Concerto pour cordes et orchestre de Bohuslav Martinů, Amériques d’Edgard Varèse, Sun-treader de Carl Ruggles, les Earth Dances d’Harrison Birtwistle et la 10e Symphonie de Chostakovitch, histoire de souligner l’universalité du répertoire de celui que certains considèrent avec raison comme l’un des chefs majeurs de la seconde moitié du XXe siècle.

Et maintenant, s’il vous plaît Decca, une belle boîte avec tous les enregistrements réalisés à Vienne.

LE DISQUE DU JOUR

Christoph von Dohnányi
with The Cleveland Orchestra
The Complete Decca Recordings

CD 1
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Symphonie No. 35 en ré majeur, K. 385 « Haffner »
Symphonie No. 36 en ut majeur, K. 425 « Linz »
Anton Webern (1883-1945)
6 Stücke für Orchester, Op. 6

CD 2
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Symphonie No. 38 en ré majeur, K. 504 « Prague »
Symphonie No. 39 en mi bémol majeur, K. 543
Anton Webern (1883-1945)
Fünf Stücke für Orchester, Op. 10
Symphonie, Op. 21

CD 3
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Symphonie No. 40 en sol mineur, K. 550
Symphonie No. 41 en ut majeur, K. 551 « Jupiter »
Anton Webern (1883-1945)
Variations pour orchestre, Op. 30

CD 4
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Concerto pour clarinette et orchestre en la majeur, K. 622
Franklin Cohen, clarinette
Concerto pour hautbois et orchestre en ut majeur, K. 314
John Mack, hautbois
Concerto pour basson et orchestre en si bémol majeur, K. 191
David McGill, basson

CD 5
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Sérénade No. 13 en sol majeur, K. 525 « Eine kleine Nachtmusik »
Concerto pour flûte, harpe et orchestre en ut majeur, K. 299
Joshua Smith, flûte – Lisa Wellbaum, harpe
Sinfonia concertante pour violon, alto et orchestre en mi bémol majeur, K. 364
Daniel Majeske, violon – Robert Vernon, alto

CD 6
Hector Berlioz (1803-1869)
Symphonie fantastique, Op. 14, H 48
Carl Maria von Weber (1786-1826
Aufforderung zum Tanze, Op. 65, J. 260 (version pour orchestre : Berlioz)

CDs 7-8
Robert Schumann (1810-1856)
Symphonie No. 1 en si bémol majeur, Op. 38 « Le Printemps »
Symphonie No. 2 en ut majeur, Op. 61
Symphonie No. 3 en mi bémol majeur, Op. 97 « Rhénane »
Symphonie No. 4 en ré mineur, Op. 120

CD 9
Johannes Brahms (1833-1897)
Concerto pour violon et orchestre en ré majeur, Op. 77
Robert Schumann (1810-1856)
Concerto pour violon et orchestre en ré mineur, WoO 23
Joshua Bell, violon

CDs 10-16
Anton Bruckner (1824-1896)
Symphonie No. 3 en ré mineur, WAB 103
Symphonie No. 8 en ut mineur, WAB 108
Symphonie No. 4 en mi bémol majeur, WAB 104 « Romantique »
Symphonie No. 5 en si bémol majeur, WAB 105
Symphonie No. 6 en la majeur, WAB 106
Symphonie No. 7 en mi majeur, WAB 107
Symphonie No. 9 en ré mineur, WAB 109
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Musikalisches Opfer, BWV 1079 – Ricercar a 6 voci (orchestration : Anton Webern)

CDs 17-18
Richard Wagner (1813-1883)
Das Rheingold, WWV 86A
Robert Hale, baryton-basse (Wotan) – Hanna Schwarz, mezzo-soprano (Fricka) – Nancy Gustafson, soprano (Freia) – Eike Wilm Schulte, baryton (Donner) – Thomas Sunnegårdh, ténor (Froh) – Kim Begley, ténor (Loge) – Peter Schreier, ténor (Mime) – Elena Zaremba, mezzo-soprano (Erda) – Franz-Josef Kapellmann, baryton (Alberich) – Jan-Hendrik Rootering, baryton-basse (Fasolt) – Walter Fink, baryton-basse (Fafner) – Gabriele Fontana, soprano (Woglinde) – Ildikó Komlósi, mezzo-soprano (Wellgunde) – Margareta Hintermeier, mezzo-soprano (Flosshilde)

CDs 19-22
Richard Wagner (1813-1883)
Die Walküre, WWV 86B
Poul Elming, ténor (Siegmund) – Alessandra Marc, soprano (Sieglinde) – Alfred Muff, basse (Hunding) – Robert Hale, baryton-basse (Wotan) – Gabriele Schnaut, soprano (Brünnhilde) – Anja Silja, mezzo-soprano (Fricka) – Karin Goltz, contralto (Waltraute) – Ruth Falcon, soprano (Helmwige) – Susan Marie Pierson, soprano (Ortlinde) – Michèle Crider, soprano (Gerhilde) – Penelope Walker, contralto (Schwertleite) – Katherine Ciesinski, contralto (Siegrune) – Susan Shafer, soprano (Rossweisse) – Sandra Walker, soprano (Grimgerde)

CD 23
Richard Strauss (1864-1949)
Ein Heldenleben, Op. 40, TrV 190
Till Eulenspiegels lustige Streiche, Op. 28, TrV 171

CD 24
Gustav Mahler (1860-1911)
Symphonie No. 1 « Titan »

CD 25
Gustav Mahler (1860-1911)
Symphonie No. 4
Dawn Upshaw, soprano

CD 26
Gustav Mahler (1860-1911)
Symphonie No. 5

CDs 27-28
Gustav Mahler (1860-1911)
Symphonie No. 9
Karl Amadeus Hartmann (1905-1963)
Symphony No. 2 (extrait : II. Adagio)

CDs 29-30
Gustav Mahler (1860-1911)
Symphonie No. 6
Arnold Schönberg (1874-1951)
Fünf Orchesterstücke, Op. 16
Anton Webern (1883-1945)
Im Sommerwind

CD 31
Bedřich Smetana (1824-1884)
Vltava, JB 1:112/2
Libuše, JB 1:102 – Ouverture
Les deux veuves, JB 1:108 – Ouverture, Polka
Le baiser, JB 1:104 – Ouverture
La fiancée vendue, JB 1:100 – Ouverture, Polka, Furiant, Danse des Comédiens

CD 32
Béla Bartók (1881-1945)
Concerto pour orchestre, Sz. 116, BB 123
Witold Lutosławski (1913-1994)
Concerto pour orchestre

CD 33
Béla Bartók (1881-1945)
Musique pour cordes, percussion et célesta, Sz. 106, BB 114
Bohuslav Martinů (1890-1959)
Concerto pour quatuor à cordes et orchestre, H. 207
Leoš Janáček (1854-1928)
Capriccio, JW 7/12

CD 34
Antonín Dvořák (1841-1904)
Symphonie No. 6 en ré majeur, Op. 60, B. 112
Leoš Janáček (1854-19289)
Taras Bulba, JW 6/15

CD 35
Antonín Dvořák (1841-1904)
Symphonie No. 7 en ré mineur, Op. 70, B. 141

CD 36
Antonín Dvořák (1841-1904)
Symphonie No. 8 en sol majeur, Op. 88, B. 163
Scherzo capriccioso, Op. 66, B. 131

CD 37
Antonín Dvořák (1841-1904)
Symphonie No. 9 en mi mineur, Op. 95, B. 178 « Du nouveau Monde »

CD 38
Antonín Dvořák (1841-1904)
8 Danses slaves, Op. 46, B. 83
8 Danses slaves, Op. 72, B. 147

CD 39
Dimitri Chostakovitch (1906-1975)
Symphonie No. 10 en mi mineur, Op. 93
Witold Lutosławski (1913-1994)
Musique funèbre

CD 40
Charles Ives (1874-1954)
Three Places in New England (Orchestral Set No. 1)
Orchestral Set No. 2
Carl Ruggles (1876-1971)
Sun-treader
Men and Mountains
Ruth Crawford Seeger (1901-1953)
Andante for Strings

CD 41
Edgard Varèse (1883-1965)
Amériques
Charles Ives (1874-1954)
Symphonie No. 4
The Unanswered Question

+Argo recording
Harrison Birtwistle (1934-2022)
Earth Dances

The Cleveland Orchestra
Christoph von Dohnányi, direction

Un coffret de 40 CD du label Decca 4854683
Acheter l’album sur le site du label Decca ou sur Amazon.fr

Photo à la une : le chef d’orchestre Christoph von Dohnányi –
Photo : © DR