Le démiurge

Un jeune Emil Gilels fait sa loi au long de cet époustouflant Premier Concerto, imposant ses tempos (prestes), ses phrasés (toujours fulgurants), sa virtuosité effrénée ardant les rythmes et réglant jusqu’à l’orchestre. Nikolai Golovanov fut-il subjugué lors de ces cessions de 1946, lui qui avait l’habitude de prendre l’ascendant sur ses solistes ? Il se plie en tous cas aux volontés de son soliste, et pour une fois ne touche pas une note de la partition.

Ce qui ne sera pas le cas des deux Symphonies. Fabuleuse Rêves d’hiver, cravachée, emportée, vrai maelström dès les premières mesures, avec cette folie qui redéfinit tout, à commencer par les carrures de la musique, inféodée à un art de l’espressivo qui fait l’orchestre diseur, le ploie à des inflexions de chanteur dans une folle discipline d’ensemble.

Les libertés sont nombreuses, et plus encore dans une Pathétique empoisonnée, terrifiante de noirceur, qui semble lue au miroir des purges contemporaines plus qu’en regard du drame privé que vivait Tchaikovsky. Cette relecture si contemporaine sera pour beaucoup la limite, jusque dans sa confusion des temps historiques, leur télescopage produisant son lot de traumatismes, mais quel art !, que je rapprocherai volontiers de celui d’un autre démiurge : Willem Mengelberg.

Démiurge ? Si vous voulez vous en convaincre, écoutez l’Allegro molto vivace de la Pathétique, cette hallucination, ou la coda de l’Ouverture solennelle.

LE DISQUE DU JOUR

Piotr Ilitch Tchaikovsky (1840-1893)
Concerto pour piano et orchestre No. 1 en si bémol majeur, Op. 23, TH 55
Symphonie No. 1 en sol mineur, Op. 13, TH 24
« Rêves d’hiver »

Symphonie No. 6 en si mineur, Op. 74, TH 30 « Pathétique »
Marche slave, Op. 31, TH 45
Ouverture solennelle « 1812 », Op. 49, TH 49

Emil Gilels, piano
Orchestre Symphonique de la Radio de Moscou
Nikolai Golovanov, direction

Un album de 2 CD du label Urania WS 121.415
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Photo à la une : le chef d’orchestre Nikolai Golovanov, jeune –
Photo : © Nikolai Golovanov Archives