Schmidt-Isserstedt, tout d’un grand

À quoi tient le destin de certains musiciens dans la jungle de l’édition phonographique. Une belle moisson de 78 tours, majoritairement sous étiquette Telefunken, avait assuré au style impeccable et à la direction de grand caractère de ce Berlinois né avec le XXe siècle une place d’honneur au rang des nouvelles baguettes de la nouvelle direction germanique. La guerre faillit l’effacer, mais sa réticence envers les Nazis lui assura à la libération un magister qui allait déterminer la pérennité de son art, mais aussi dans une certaine mesure sa « provincialisation ». Les autorités d’occupation britanniques lui confieront la création d’un orchestre pour la Radio de Hambourg dont il fera en deux saisons l’égal des Philharmonies de Berlin ou de Munich.

Pas assez pour que le disque se penche sur ce binôme parfait, la révolution Karajan, venu de Londres et de Vienne, allait faire pencher la balance au détriment d’Hans Schmidt-Issertedt, leurs arts respectifs au demeurant affichant bien des similitudes, à commencer par cette direction nourrie par le quatuor et son legato. Finalement, alors même que les concerts hambourgeois régulièrement relayés par toutes les radios des länder, avait rendu populaire ce petit homme élégant et téméraire, il faudra attendre la fin des années soixante pour que Decca en fasse une des icônes de son catalogue.

John Culshaw avait attiré l’attention des dirigeants de Decca sur un chef qu’il considérait à sa juste valeur : l’un des plus grands, de plus taillé pour le disque. Le label londonien cherchait à enregistrer sa première intégrale des Symphonies de Beethoven, Hans Schmidt-Isserstedt avait présenté le cycle avec son orchestre de la NDR, mais Gordon Parry, le magicien du Ring de Solti eut une idée de génie : toutes les Symphonies de Beethoven, mais avec les Wiener Philharmoniker. Après tout, in extremis, Hans Schmidt-Isserstedt avait sauvé les cinq Concertos de Beethoven que Wilhelm Backhaus devait enregistrer avec un autre chef. On était alors à l’orée des années soixante, le courant était passé entre le Berlinois et les Viennois, et même s’ils ne s’étaient pas retrouvés depuis, dès son entrée dans la Sofiensaal les musiciens retrouvèrent avec un plaisir non dissimulé la tranquille urbanité de l’homme, l’élégance de sa direction, sa mise en place parfaite et indolore.

Pari gagné, le cycle connaîtra un succès planétaire, le cédant de peu à celui de Karajan et des Berlinois. L’avenir s’annonçait radieux, Erik Smith (à la ville le fils de Schmidt-Isserstedt) passé chez Philips, prévoyant un cycle d’opéras de Mozart, des pages de Wagner, des Symphonies de Bruckner, celles de Brahms, avec la NDR enfin, mais aussi avec le Concertgebouw, le London Symphony Orchestra qu’il dirigeait régulièrement à Londres depuis les années cinquante. Las !, du cycle Mozart, seule une Finta giardiniera dans sa vêture allemande et servie par un cast fabuleux (Cotrubas, Norman, Troyanos, Donath, Prey !) sera captée en 1972, en mai de l’année suivante un Premier Concerto de Brahms avec un bouillonnant Alfred Brendel montrera Schmidt-Isserstedt ardant un Concergebouw fulgurant, gravure absolument historique que le Deuxième devait compléter, mais à quelques jours de la captation du Premier, le cœur d’Hans Schmidt-Isserstedt céda le 28 mai. 73 ans, un âge ridiculement bref pour un chef d’orchestre.

La saga discographique hors 78 tours (mais Tahra avait documenté cette part de son art) de ce génie de la direction est enfin rassemblée dans ces deux beaux coffrets – n’y manque que les rares Capitol dont une géniale 2e Symphonie de Sibelius – et les surprises abondent : gravures Mercury (avec le LSO) oubliées (la Jupiter de Mozart ! la 6e de Schubert), les Berwald avec Stockholm, son deuxième orchestre de cœur qu’il dirigea si souvent, se délassant durant des traversées de la Baltique assez arrosées, les quelques LP Deutsche Grammophon (Sérénades de Dvořák, le Concerto en sol majeur de Ravel pour Monique Haas) dont le plus rare (mais pas le plus surprenant, il fut patron de l’Opéra de Berlin et élève de Franz Schreker) restent ces extraits du Romeo und Julia d’Heinrich Sutermeister avec Christel Goltz et Julius Katona. Mais écoutez aussi cette Schéhérazade inquiète et sensuelle où Erich Röhn dit de son archet éloquent tant de contes noirs.

LE DISQUE DU JOUR

Hans Schmidt-Isserstedt Edition
Volume 1. The Decca Recordings

CD 1 à 10
Ludwig van Beethoven (1770-1827)

Symphonie No. 1 en ut majeur, Op. 21
Symphonie No. 2 en ré majeur, Op. 36
Symphonie No. 3 en mi bémol majeur, Op. 55 « Eroica »
Symphonie No. 4 en si bémol majeur, Op. 60
Die Weihe des Hauses, Ouverture, Op. 124
Symphonie No. 5 en ut mineur, Op. 67
Symphonie No. 8 en fa majeur, Op. 93
Symphonie No. 6 en fa majeur, Op. 68 « Pastorale »
Egmont, Op. 84 – Ouverture
Symphonie No. 7 en la majeur, Op. 92
Ouverture Leonora No. 3, Op. 72b
Symphonie No. 9 en ré mineur, Op. 125 « Chorale »
Joan Sutherland, soprano – Marilyn Horne, mezzo-soprano – James King, ténor – Martti Talvela, basse – Wiener Staatsopernchor
Wiener Philharmoniker

Concerto pour piano et orchestre No. 1 en ut majeur, Op. 15
Concerto pour piano et orchestre No. 2 en si bémol majeur, Op. 19
Concerto pour piano et orchestre No. 3 en ut mineur, Op. 37
Concerto pour piano et orchestre No. 4 en sol majeur, Op. 58
Concerto pour piano et orchestre No. 5 en mi bémol majeur, Op. 73 « L’Empereur »
Wilhelm Backhaus, piano
Wiener Philharmoniker

CD 11
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Concerto pour piano et orchestre No. 20 en ré mineur, K. 466
Concerto pour piano et orchestre No. 6 en si bémol majeur, K. 238
Vladimir Ashkenazy, piano – London Symphony Orchestra

CD 12
Piotr Ilyitch Tchaikovski (1840-1893)
Symphonie No. 5 en mi mineur, Op. 64, TH 29
NDR Sinfonieorchester

CD 13
Antonín Dvořák (1841-1904)
Symphonie No. 7 en ré mineur, Op. 70, B. 141
NDR Sinfonieorchester

CD 14
Antonín Dvořák (1841-1904)
8 Danses slaves, Cahier 1, Op. 46, B. 83 (3 extraits : No. 1 en ut majeur ; No. 2 en mi mineur ; No. 3 en la bémol majeur)
8 Danses slaves, Cahier 2, Op. 72, B. 147 (extrait : No. 8 en la bémol majeur)
Johannes Brahms (1833-1897)
21 Danses hongroises, WoO 1 (7 extraits : No. 1 en sol mineur ; No. 2 en ré mineur ; No. 3 en fa majeur ; No. 5 en sol mineur ; No. 6 en ré majeur ; No. 7 en fa majeur ; No. 10 en fa majeur)
NDR Sinfonieorchester

Hans Schmidt-Isserstedt, direction

Un coffret de 14 CD du label Decca 4843981 (Collection Eloquence Australia)
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Hans Schmidt-Isserstedt Edition
Volume 2. The Recordings on Philips, Mercury, Accord and Deutsche Grammophon

CD 1
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Concerto pour violon et orchestre en ré majeur, Op. 61
Romance pour violon et orchestre No. 2 en fa majeur, Op. 50
Henryk Szeryng, violon – London Symphony Orchestra

CD 2
Johannes Brahms (1833-1897)
Concerto pour piano et orchestre No. 1 en ré mineur, Op. 15
Alfred Brendel, piano – Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam

CDs 3 à 5
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
La finta giardiniera, K. 196 (version chantée en allemand)
Ileana Cotrubas, soprano (Serpetta) – Helen Donath, soprano (Sandrina) – Jessye Norman, soprano (Arminda) – Tatiana Troyanos, mezzo-soprano (Ramiro) – Werner Hollweg, ténor (Belfiore) – Gerhard Unger, ténor (Podesta) – Hermann Prey, baryton (Nardo) – Chor des Norddeutschen RundfunksNDR-Sinfonieorchester

CD 6
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Symphonie No. 39 en mi bémol majeur, K. 543
Symphonie No. 41 en ut majeur, K. 551 « Jupiter »
London Symphony Orchestra

CD 7
Franz Schubert (1797-1828)
Symphonie No. 6 en ut majeur, D. 589
Symphonie No. 4 en ut mineur, D. 417 « Tragique »
London Symphony OrchestraWalter Süsskind, direction (No. 4)

CD 8
Johannes Brahms (1833-1897)
21 Danses hongroises, WoO 1 (version orchestrale)
NDR-Sinfonieorchester

CD 9
Nikolai Rimski-Korsakov (1844-1908)
Schéhérazade, Op. 35
NDR-Sinfonieorchester

CD 10
Franz Berwald (1796-1868)
Symphonie No. 1 en sol mineur « Sérieuse »
Symphonie No. 3 en ut majeur « Singulière »
Orchestre philharmonique de Stockholm

CD 11
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Concerto pour violon et orchestre No. 4 en ré majeur, K. 218
Concerto pour violon et orchestre No. 5 en la majeur, K. 219
Wolfgang Schneiderhan, violon – Berliner Philharmoniker (No. 4) – NDR-Sinfonieorchester (No. 5)

CD 12
Wolfgang Fortner (1907-1987)
Die Schöpfung
Dietrich Fischer-Dieskau, baryton – NDR-Sinfonieorchester
Mouvements pour piano et orchestre
Carl Seeman, piano – NDR-Sinfonieorchester

Maurice Ravel (1875-1937)
Concerto pour piano et orchestre en sol majeur, M. 83
Monique Haas, piano – NDR-Sinfonieorchester

CD 13
Giuseppe Verdi (1813-1901)
La Traviata (extraits chantés en allemand)
Maria Stader, soprano (Violetta) – Ernst Haefliger, ténor (Alfredo) – Lawrence Winters, baryton (Germont) – Chor des Norddeutschen RundfunksNDR-Sinfonieorchester

CD 14
Antonín Dvořák (1841-1904)
Sérénade pour cordes en mi majeur, Op. 22, B. 52
Sérénade pour vents en ré mineur, Op. 44, B. 77
NDR-Sinfonieorchester

CD 15
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Symphonie No. 38 en ré majeur, K. 504 « Prague »
Don Giovanni, Le nozze di Figaro – 2 arias
Lore Hoffmann, soprano – NDR-Sinfonieorchester

Piotr Ilyitch Tchaikovski (1840-1893)
Sérénade pour cordes en ut majeur, Op. 48, TH 48
NDR-Sinfonieorchester

Heinrich Sutermeister (1910-1995)
Romeo und Julia (extraits)
Christel Goltz, soprano – Julius Katona, ténor – Orchester des Deutschen Opernhauses, Berlin

Hans Schmidt-Isserstedt, direction

Un coffret de 15 CD du label Decca 4845516 (Collection Eloquence Australia)
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Photo à la une : le chef d’orchestre Hans Schmidt-Isserstedt – Photo : © DR