Vitalité

« The Lost Tapes », le titre est abusif, les bandes de l’ultime enregistrement de Rudolf Serkin n’ont jamais été perdues ; le projet de sortie, déjà assez avancé, avait même fait l’objet d’encarts publicitaires dans les revues spécialisées, l’accord de Rudolf Serkin pour la publication de la Waldstein acté (dixit son fils Peter), mais pas pour l’Appassionata dont le pianiste a remis l’audition successivement jusqu’à ce que sa santé se dégrade.

Le Finale de cette Appassionata, d’un sombre élan, semble saillir sous les doigts d’un jeune homme ; dès ce clairon qui sonne l’alarme, un sentiment tragique plie la grande ligne que Rudolf Serkin modèle et retient, savourant son Beethoven qui fut toujours très « Sturm und Drang ». Cette Appassionata l’est de bout en bout, ardente, enténébrée, hantée diront certains, avec une hauteur de vue, une éloquence sans apprêt, une rudesse parfois qui puisent au cœur de la syntaxe beethovénienne.

Définitif probablement, malgré ses nombreux enregistrements de l’œuvre, d’autant que la prise de son de Judith J. Sherman capture la profondeur de cette sonorité, son grain si spécifique, trop souvent asséchés par les micros de CBS. Impossible de croire que l’on entend ici l’utlima verba d’un géant, tout cela est si vif, si net, jusque dans la maîtrise du temps musical.

Trois ans plus tôt, Rudolf Serkin gravait une Waldstein d’anthologie (écoutez le rêve sonore qui ouvre le Rondo, sfumato sonore digne de la touche d’un Leonard de Vinci), sur un piano bien plus beau que celui des sessions du Vermont.

On est à New York, dans le Recital Hall du Purchase College, salle magnifique tout entière boisée de chêne où la pure beauté de la sonorité de Serkin s’épanouit. Visiblement l’acoustique l’inspire, dorant son incroyable palette de couleurs, donnée essentielle pour la Waldstein ; surtout son piano parle, chante une ballade romantique, ose incarner cette tentation de la sonate « narrative » que Beethoven partageait avec ses collègues moraves et qui donne aux opus médians leur incroyable modernité.

Rudolf Serkin va au feu sans trembler, la coda Presto l’exalte, et les premières mesures de l’Allegro con brio le montrent incroyablement véloce : son piano chante sans frein, rappelant quel sentiment de liberté, quelle ivresse il savait communiquer à ses auditeurs au concert. Cette Waldstein c’est tout lui, éternellement jeune.

LE DISQUE DU JOUR

The Lost Tapes

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Sonate pour piano No. 21
en ut majeur, Op. 53
« Waldstein »

Sonate pour piano No. 23
en fa mineur, Op. 57
« Appassionata »

Rudolf Serkin, piano

Un album du label Deutsche Grammophon 4864935
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Photo à la une : le pianiste Rudolf Serkin –
Photo : © Deutsche Grammophon