Espagnoles les Goyescas ? Javier Perianes les entend et nous les offre autrement, chantées larges, en harmonies profondes, mais sans les grands décors un peu âpres et le taconeo qu’Eduardo del Pueyo y mettait : ses Goyescas étaient arides comme un paysage de sa Saragosse natale, et espagnoles !
Au fond il n’y a pas une Espagne, mais des Espagnes, celle que choisit Javier Perianes dans son piano si subtil, est la plus secrète, la plus abstraite aussi, une idée d’Espagne idéalisée par un Goya qui n’aurait jamais songé à griffonner ses Désastres de la guerre et dont les danseuses de fandango sont des élégantes de la haute société. Cette manière de ne pas trop cambrer, de faire chanter la mélodie par-dessus les arabesques et les ressauts, comme si une cantatrice dominait le ballet, est fabuleusement poétique, tels cette belle et son rossignol épurés, dont le dialogue a soudain quelque chose de ravélien.
Comme ce piano aime les mystères, Spectre d’abord nocturne, Coloquio dans l’ombre de grands cyprès (et peut-être ceux d’un cimetière), élégance discrète des Requiebros qui inventent sous ses doigts si lestes des dialogues dorées où bruissent des rossignols, merveilles entre fusain et pastel qui ignorent les grands soleils d’Alicia de Larrocha et s’approchent des narrations poétiques que seule y osa Rosa Sabater.
Pas de cette Espagne solaire vraiment ? Contrairement à bien d’autres, Javier Perianes ajoute El pelele, mais refuse le feu d’artifices, son clavier semble peindre la toile de Goya, couleurs raffinées, jeu léger où le pantin ne se désarticule pas sous le regard des majas, échappées belles vers ce ciel d’Arcadie où dort aux nuées un temple grec, tout un raffinement de la sonorité même qui invite Chopin chez Granados plus qu’en aucune autre version.
LE DISQUE DU JOUR
Enrique Granados
(1867-1916)
Goyescas
El pelele
Javier Perianes, piano
Un album du label harmonia mundi HMM 902626
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Photo à la une : le pianiste Javier Perianes – Photo : © Igor Studio