Journaux intimes

Deux cycles ? Deux journaux de la création fauréenne sur l’orbe d’une vie, que Marc-André Hamelin confronte. Fauré les avait voulues en total imper et majoritairement en armature mineur, piano sombre dès le Premier Nocturne, et qui ira s’élargissant jusque dans des ténèbres aventureuses plus parcourues depuis celles qu’osaient regarder en face l’ultime Beethoven. La tonalité n’est plus qu’affaire relative dans le Treizième Nocturne.

Moins étouffantes, mais à mesure pas moins radicales, les Barcarolles se trouvent peut-être moins à l’aise dans ce piano vaste et volontiers sombre. Les trois premières manquent un peu de ce délié fantasque, de ses illusions d’une Italie listzienne que Jean-Philippe Collard y infusait dans un piano qui avait d’autres éclats. Mais ce dolce pour la Quatrième, révèle à quel point le Steinway choisi pour ces sessions est une merveille ; dommage que l’éditeur n’en indique pas l’identité. Des Barcarolles au miroir des Nocturnes donc, mais qui chantent tout de même et dont le pianiste éclaire avec évidence les écritures plus complexes des trois dernières, de l’Opus 116 surtout.

Si les fameuses échelles dorées sur lesquelles Fauré appuyait son piano onirique manquent un rien aux Barcarolles, les Nocturnes, joués profus et émouvants comme il faut, en piano somptueux, sont eux indiscutables, et ne souffrent aucun bémol, à condition d’admettre dans les écueils des ultimes ce clavier qui se maîtrise jusqu’au bout, n’osant ni l’abîme qu’y voyait Albert Ferber, ni le vertige et les traits péremptoires, beethovéniens, qu’y foudroyait Yvonne Lefébure, une bonne fois pour toutes inatteignable dans les 12e et 13e.

Marc-André Hamelin ne veut pas se déraper des pures splendeurs de son jeu, mais tout de même comme il étreint dès le 6è Nocturne où son Steinway boisé, au médium sonore – élément essentiel pour l’harmonie fauréenne – tonne et chante d’un seul geste.

Comme en annexe les sourires de Dolly, où le rejoint Cathy Fuller, semblent coulées d’une toute autre plume, le Pas espagnol ose son petit côté Chabrier, coda délicieuse, mais quasi hors propos. Hamelin en restera-t-il là chez Fauré ? J’aimerais l’entendre dans les Préludes, les Valses-caprices, surtout dans les Quatuors et les Quintettes !

LE DISQUE DU JOUR

Gabriel Fauré (1845-1924)
Les 13 Nocturnes (Intégrale)
Les 13 Barcarolles (Intégrale)
Dolly*

Marc-André Hamelin, piano
*Cathy Fuller, direction

Un album de 2 CD du label Hypérion CDA68331/2
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Photo à la une : le pianiste Marc-André Hamelin –
Photo : © Sim Cannetty Clarke