Bach de Vienne

Jörg Demus n’avait pas encore atteint ses vingt-cinq ans, mais pour son premier disque Bach, il osait les Variations Goldberg. Déception, piano et prise de son éteints, jeu morne, ce brillant jeune homme, coqueluche du tout Vienne pianistique, est méconnaissable. Il se souvenait d’avoir hésité à en autoriser la publication. Mais Westminster lui promettait d’enregistrer tout Le Clavier bien tempéré qui était son pain quotidien ; Edwin Fischer lui en avait montré les secrets. Les Goldberg parurent, fêtées par la critique, mais Jörg Demus, la stéréophonie venue, n’oublia pas de les réenregistrer exactement dix ans plus tard, sur un somptueux Bechstein : polyphonies joueuses, lecture alerte et pleine de sève, des couleurs et des accents à foison, cette fois était la bonne.

Entre temps, il avait publié son Clavier bien tempéré, serein, joué modestement, comme pour lui-même, à revers des versions égocentriques auxquelles les pianistes nous ont depuis habitué, vraiment un Clavier pour chaque jour et à sa façon inépuisable en trésors poétiques. Les Partitas suivront, dansées, vigoureuses, voire spectaculaire pour la Sixième, Demus affirmant son Bach de plein clavier, puis un récital brillant et touchant à la fois, parcourant plusieurs visages de Bach, élan solaire du Concerto Italien, polyphonie ardente de la Fantaisie chromatique, émotion intime du Capriccio, peut-être faudra-t-il-commencer l’écoute ici.

Et les Concertos où le rejoint au deuxième piano ou en soliste alternatif Paul Badura-Skoda ? Direction au cordeau de l’excellentissime Kurt Redel, qui n’a guère vieilli au fond, tant la puissance du discours s’impose, emportant les deux amis, les ingénieurs de Westminster les décorant d’une stéréophonie un brin artificielle.

À Jörg Demus les grand gestes des Concertos en ré mineur, en fa mineur et en la majeur, mais la vraie surprise, ce sont les doigts légers de Paul Badura-Skoda qui envolent les Allegros du Concerto en mi majeur, et chantent comme un madrigal sa Sicilienne, rappelant que lui aussi aura enregistré quelques albums Bach pour Westminter, dont une stupéfiante intégrale des Partitas qu’il est temps de retrouver.

LE DISQUE DU JOUR

Jörg Demus
The Bach Recordings on Westminster

Johann Sebastian Bach (1685-1750)

CDs 1 & 2
Le Clavier bien tempéré, Livre I – 24 Préludes et Fugues, BWV 846-869
CDs 3 & 4
Le Clavier bien tempéré, Livre II – 24 Préludes et Fugues, BWV 870-893

CDs 5 & 6
6 Partitas, BWV 825-830 (Clavierübung I)
CD 7
Variations Goldberg, BWV 988 (enregistrement monophonique, 1953)
CD 8
Variations Goldberg, BWV 988 (enregistrement monophonique, 1963)

CD 9
Capriccio sopra la lontananza del suo fratello dilettissimo, BWV 992
Notenbüchlein für Anna Magdalena Bach (extraits)
Fantaisie chromatique et Fugue en ré mineur, BWV 903
Concerto Italien en fa majeur, BWV 971

CDs 10 & 11
Concerto pour clavier No. 1 en ré mineur, BWV 1052
Concerto pour clavier No. 2 en mi majeur, BWV 1053*
Concerto pour 2 claviers No. 2 en ut majeur, BWV 1061*
Concerto pour clavier No. 5 en fa mineur, BWV 1056
Concerto pour 2 claviers No. 1 en ut mineur, BWV 1060*
Concerto pour clavier No. 4 en la majeur, BWV 1055

Jörg Demus, piano
*Paul Badura-Skoda, piano
Orchestre de l’Opéra d’État de Vienne
Kurt Redel, direction

Un coffret de 11 CD du label Westminster 4842053 (Collection Eloquence Australia)
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Photo à la une : le pianiste Jörg Demus – Photo : © DR