Révolution Goebel

Année 1970, le magister de Karl Richter bâtait son plein sur le baroque allemand, grand prêtre moderne d’un Bach qui hésitait encore devant le vent de tempête levé à Vienne et à Amsterdam : le vert des voix d’enfants, les patines et les ombres des instruments d’époque n’avaient passé ni les Alpes ni le Rhin, pourtant un jeune violoniste virtuose, élève de Sachka Gavrilow à Cologne, fit le voyage d’Hollande. Dans la ville des canaux, Marie Leonhardt l’accueillait, et lui révélait une autre manière de jouer, et surtout d’entendre !, son instrument. Gustav Leonhardt était là aussi, attentif, le jeune homme montrait une fougue que le claveciniste avait su dompter.

Révélation, Reinhard Goebel abandonna son violon moderne et en converti rentra en terres allemandes, fondant un ensemble constitué d’amis virtuoses tout issus de Cologne ou des alentours : la révolution serait rhénane. Mais par où commencer ? Un tropisme pour le répertoire français lui fit choisir pour premiers sillons chez Archiv la Sonnerie de Sainte-Geneviève du Mont, le Requiem de Gilles, son art roide, droit, lancé collant idéalement à l’expression sévère du Grand Siècle, puis un peu d’Italie, et enfin Bach avec L’Offrande musicale. Leurs Concertos brandebourgeois, si ardents, si lestes, si osés de timbres et d’accents firent imploser le paysage Bach en Allemagne – y scellant la fin de l’ère Richter – et partout ailleurs en Europe de l’Ouest.

On connait la suite, une exploration aussi osée que gourmande des trésors de la famille Bach, une anthologie du violon baroque allemand donnant les cahiers essentiels de Biber, un fabuleux voyage versicolore chez Telemann avec en point d’orgue toute la Tafelmusik, quelques échappées belles vers l’Italie qui sera l’occasion d’un sommet : un album autour de Monteverdi, écoutez Carolyn Watkinson dans le Lamento d’Arianna !

Et puis toujours de loin en loin ce tropisme français qui lui inspireront des Lully brillants, de stupéfiants Elémens de Rebel, tout cela réuni dans un monument beau comme un Bernin, ivre d’un mouvement qui ne cesse de fasciner par son altière éloquence.

LE DISQUE DU JOUR

Reinhard Goebel & Musica Antiqua Köln
Complete Recordings on Archiv Produktion

Œuvres de Johann Sebastian Bach, Carl Philipp Emanuel Bach, Wilhelm Friedemann Bach, Heinrich Ignaz Franz Biber, Marc-Antoine Charpentier, Nicolas Clérambault, François Couperin, Jean Gilles, Georg Friedrich Haendel, Johann Adolf Hasse, Franz Joseph Haydn, Johann David Heinichen, Jean-Marie Leclair, Claudio Monteverdi, Georg Philipp Telemann, Francesco Maria Veracini, Antonio Vivaldi, Jean-Féry Rebel, Jean-Baptiste Lully, etc.

Musica Antiqua Köln
Reinhard Goebel, violon, direction

Un coffret de 75 CD du label Archiv Produktion 4862063
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Photo à la une : la mezzo-soprano Anne Sofie von Otter et le violoniste Reinhard Goebel, à l’occasion de leur enregistrement de Cantates mariales de Georg Friedrich Haendel, en 1993 – Photo : © Deutsche Grammophon