Con fuoco

Se saisissant du pianoforte de Mozart, probablement sorti, même non signé, des ateliers d’Anton Gabriel Walter, Robert Levin n’y va pas par quatre chemins : il ose remplir les vides harmoniques en les bariolant, sur-varie les reprises, et exacerbe autant l’écriture polyphonique, trop souvent sacrifiée par les mains gauches paresseuses de bien des pianistes, que la furia rythmique au point que, si emportés par cette fougue péremptoire, les Prestos et les Allegros conclusifs vous prennent des petits airs de sonates de Scarlatti, taconeo compris.

Cette relecture suractive, qui épuise les ressources des textes mais les exalte aussi, n’est pas la seule surprise d’une vision qui éloigne les charmes ou la nostalgie (ceux que si justement Kristian Bezuidenhout évoquait dans l’étoffe plus soyeuse de son beau Paul McNulty), elle réinvente littéralement un corpus que les pianistes auront romantisé, le retrempe dans la folie contagieuse d’un univers où sans cesse s’entendent, en miroir du clavier, les couleurs et l’efflorescence lyriques des opéras.

Le pianofortiste aura eu le temps de murir son projet, voir d’en radicaliser le discours, depuis son intégrale hélas avortée pour deutsche harmonia mundi, travaillant à tout un lexique de l’ornementation qui enrichit considérablement le vocabulaire comme la grammaire de ces Sonates, et en complexifie aussi l’espressivo : la palette des sentiments est étourdissante, souvent capturée dans des détails d’articulations, des soupesés de phrasés que le mouvement toujours vif, les doigts rapaces masquent à la première écoute.

Ajout du musicologue que Levin est aussi, ses propres propositions pour compléter trois mouvements de Sonates laissés à l’état de fragments – on sait le nombre impressionnant d’esquisses révélées par les manuscrits, souvent gorgées d’idées merveilleuses – et une lecture saisissante de l’ombreuse Fantaisie en ut mineur.

Un petit regret, et d’ailleurs vain : dommage pour la Marche turque que l’instrument de Mozart n’ait pas disposé du fabuleux dispositif de percussion janissaire qu’actionnait avec délectation Andreas Staier, et un souhait : demain, que Robert Levin puisse enfin enregistrer l’intégrale des Concertos de Mozart, elle aussi jadis restée inachevée dans la précieuses série de Christopher Hogwood et de son Academy of Ancient Music.

LE DISQUE DU JOUR

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Mouvement de Sonate en
ut majeur, K. 42

Mouvement de Sonate en
si bémol majeur, K. 400

Mouvement de Sonate en
sol mineur, K. 312

Fantaisie en ut mineur, K. 575

Les Sonates pour clavier (Intégrale)
No. 1 en ut majeur, K. 279
No. 2 en fa majeur, K. 280
No. 3 en si bémol majeur, K. 281
No. 4 en mi bémol majeur, K. 282
No. 5 en sol majeur, K. 283
No. 6 en ré majeur, K. 284 « Dürnitz »
No. 7 en ut majeur, K. 309
No. 8 en la mineur, K. 310
No. 9 en ré majeur, K. 311
No. 10 en ut majeur, K. 330
No. 11 en la majeur, K. 331
No. 12 en fa majeur, K. 332
No. 13 en si bémol majeur, K. 333
No. 14 en ut mineur, K. 457
No. 15 en fa majeur, K. 533/494
No. 16 en ut majeur, K. 545
No. 17 en si bémol majeur, K. 570
No. 18 en ré majeur, K. 576

Robert Levin, pianoforte

Un coffret de 7 CD du label ECM New Series 2713/14
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Photo à la une : le claviériste Robert Levin – Photo : © DR