Expérience Beethoven

Kristian Bezuidenhout était parvenu chez Mozart à une adéquation parfaite, retrempant les œuvres dans un vrai bain de jouvence qui rendait son geste transparent. Lorsqu’harmonia mundi lui proposa d’enregistrer dans un laps de temps plutôt bref, et à la suite de concerts, les cinq Concertos de Beethoven, impossible de résister.

L’immersion fut totale, l’appréhension du langage beethovénien une révélation, appuyant ensuite ses choix interprétatifs sur une réflexion autour de Beethoven interprète de ses propres œuvres. L’intégrale est aujourd’hui entièrement disponible, j’y ai musardé assez longtemps, irrité parfois, souvent émerveillé devant une lecture radicale où le texte musical lui-même est réévalué à l’aune des manuscrits.

On pourra trouver le geste univoque du Premier un peu court, si drastique d’orchestre – c’est une constante de tout le cycle, ouvertures itou – comme si justement le pianiste, n’y décelant pas le génie des trois derniers concertos, le jouait en le filant. Mais l’écoute attentive révèle une imagination sans frein, un jeu prodigieusement alerte que l’on n’avait plus entendu côté pianoforte depuis Malcolm Bilson.

Les choses changent avec le Troisième Concerto, joué sombre et intense, avec une recherche de sonorités profondes que l’éloquente copie signée par Regier d’après un Graf de 1824 lui permet. Coups de génie supplémentaires, les trois cadences où le pianiste ajoute ses propres fantaisies à celles de Beethoven.

Le grand mot de Bezuidenhout est « improvisation ». Impossible d’inventer au dernier moment comme le faisait Beethoven jouant ses propres concertos (quitte à perdre l’orchestre), mais jouer aussi avec l’orchestre, comme on le fait maintenant couramment chez Mozart, et surtout imprimer dans la volatilité du jeu l’effervescence toujours un peu dangereuse de l’idée d’improvisation, voilà qui donne au pianiste une liberté décoiffante tout au long d’un Quatrième Concerto qui est bien le sommet du cycle (je reviendrai plus tard sur L’Empereur). Son clavier vole, griffe, médite (quel Andante entre les déclamations des Freibourgeois), admirable de précisions polyphoniques, ornant expressif, tout cela d’un feu, d’une urgence, d’un tel plaisir physique que l’on ne peut y résister.

Voilà une introduction pour, qui sait, un prochain parcourt dans les Sonates, mais si Beethoven est devenu le nouveau terrain de jeu de Kristian Bezuidenhout, qu’il n’oublie pas les Concertos de Mozart !

LE DISQUE DU JOUR

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Coriolan, Op. 62 – Ouverture
Concerto pour piano et orchestre No. 4 en sol majeur, Op. 58
Les Créatures de Prométhée, Op. 43 – Ouverture

Kristian Bezuidenhout, pianoforte
Freiburger Barockorchester
Pablo Heras-Casado, direction
Un album du label harmonia mundi HMM902413
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Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Concerto pour piano et orchestre No. 3 en ut mineur, Op. 37
Concerto pour piano et orchestre No. 1 en ut majeur, Op. 15

Kristian Bezuidenhout, pianoforte
Freiburger Barockorchester
Pablo Heras-Casado, direction
Un album du label harmonia mundi HMM902412
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Photo à la une : le pianofortiste Kristian Bezuidenhout – Photo : © Marco Borggreve