Vengeance

Nous ne sommes pas à l’opéra mais on s’y croirait. Le 10 décembre 1964, William Steinberg dirigeait au Lincoln Center une version en concert d’Elektra de Richard Strauss. L’œuvre était devenue une des partitions favorites du public lyrique de la Grosse Pomme après que Rose Pauly leur avait offert sa vision sacrificielle de la fille d’Agamemnon.

Astrid Varnay avait ensuite ravivé sa flamme, pour Fritz Reiner d’abord, puis ici pour William Steinberg, atteignant à la quintessence du rôle. L’aigu lui est toujours aussi aisé, seule Nilsson l’aura aussi insolent, mais c’est la dimension hantée du personnage, et son irrépressible besoin de sacrifice rédempteur qui place toute la soirée dans un sentiment d’urgence.

Maître du temps, William Steinberg lui offre et le flamboiement de l’exaltation et les espaces suspendus du doute, son orchestre est vertigineux, peut-être plus encore que celui de Reiner que la scène précipitait ; ici, on entend absolument tout, Steinberg sait alléger les forte (qui fera ainsi la grande musique d’orchestre avant l’annonce de la mort d’Oreste par Chrysosthemis, si torche vive ? Je ne vois que Carlos Kleiber) et ose emporter toute la danse finale dans une ivresse cataclysmique insensée, pressant le tempo.

Face à Varnay, Resnik est fabuleuse de malaise et de venin, de perversion et d’angoisse, l’Aegisth claironnant et fat de Sergi rappelle ce qu’y osait Max Lorenz, et l’Oreste si humain de Walter Cassel (qui remplaçait au pied levé Gustav Neidlinger) rend enfin justice à ce baryton trop oublié.

Si l’on ajoute la Chrysosthemis éloquente de Phyllis Curtin et malgré une Première Suivante vinaigrée, vous saurez que cette Elektra vous deviendra essentielle, d’autant que sa captation, excellente, a été admirablement remasterisée par Yves Saint-Laurent.

LE DISQUE DU JOUR

Richard Strauss (1864-1949)
Elektra, Op. 58, TrV 223

Astrid Varnay, soprano (Elektra)
Regina Resnik, mezzo-soprano (Klytaemnestra)
Phyllis Curtin, soprano (Chrysosthemis)
Walter Cassel, baryton (Orest)
Arturo Sergi, ténor (Aegisth)
John Fiorito, baryton (Le précepteur)

Lillian Garabedian, soprano (La première servante)
Helen Rosengren, soprano (La porteuse de tresses, La deuxième servante)
Margaret Roggero, mezzo-soprano (La devineresse, La troisième servante)
Lou Ann Wyckoff, soprano (La quatrième servante)
Marybeth Peil, soprano (La cinquième servante)
New York Philharmonic
William Steinberg, direction

Enregistré le 10 décembre 1964
Un album de 2 CD du label St-Laurent Studio YSL-1217
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Photo à la une : © DR