Symphonie intime

Révolutionnaire ou prophète ? Sans hésiter, Jonathan Fournel choisit le prophète, il ne forcera pas le trait dans l’orage du Maestoso, ne saturant jamais le grand meuble de son Steinway pour mieux en faire résonner les paysages ordonnés dans de savantes perspectives dynamiques. Littéralement, de nouveaux horizons apparaissent toujours, le cadre s’élargit, les lignes de fuite donnent le vertige, mais pourtant le plus beau reste à venir : écoutez l’automne éperdu de son Andante dont l’espressivo est une palette de couleurs inouïe, portée dans un geste fluide, une méditation et une danse à la fois, jusqu’à la proclamation.

Scherzo diabolique, concentré, plus inquiétant que fantasque, bien vu, et qui s’effacera pour un Intermezzo aux phrasés beethovéniens jusque dans les sonneries de ses clairons. C’est ici que Brahms prophétise : jusqu’au mystère de l’effacement des ultimes mesures, Fournel fait entendre le spectre d’une marche funèbre. Le grand geste du Finale, ses ébrouements, son ton âpre et son merveilleux thème de chanteuse auront-ils jamais été aussi admirablement liés dans un même geste ?

Un autre Brahms occupe le disque, non plus le jeune homme qui invente son univers, mais l’artiste fait qui se joue des formes et savoure les Anciens. Les Variations sur un thème de Haendel sont piégeuses, on les joue volontiers en grand son et tout en geste, Jonathan Fournel préfère traquer leurs purs plaisirs musicaux, et les joue comme une suite de « Klavierstücke », y mettant les fantaisies de timbres, les tons emplis de confidence et les caprices, les rapprochant ainsi des ultimes opus.

Cela vous change l’œuvre, lui ôte sa gangue savante, plus rien n’y démontre, tout y chante, y danse ou murmure. Pour les premiers pas au studio d’un pianiste qui a fait perdre la tête à tout Bruxelles, c’est mieux qu’une carte de visite, une œuvre déjà.

LE DISQUE DU JOUR

Johannes Brahms (1833-1897)
Sonate pour piano No. 3 en fa mineur, Op. 5
Variations et Fugue sur un thème de Haendel, Op. 24

Jonathan Fournel, piano

Un album du label Alpha Classics 851
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Photo à la une : le pianiste Jonathan Fournel – Photo : © Robin Ducancel