Clavier inversé

Etrange : Jérôme Granjon a d’abord choisi d’enregistrer le Second Livre du Clavier bien tempéré : un beau Steinway qui claironne un peu trop, une acoustique de salle de château peut-être peu propice, le pianiste se laisse emporter par le brio de l’instrument, fuse les traits, joue solaire et vif, avec une volonté de tout faire entendre des polyphonies. Il compose le cycle en variant la durée des ensembles qu’il assemble par blocs, pense une dramaturgie en regroupant des séries de préludes et fugues et non en les jouant comme tant de ses confrères pour ainsi dire l’un après l’autre.

Tout cela s’écoute d’un trait, malgré des micros un peu trop indiscrets qui privent l’auditeur d’une certaine aération, mais partition en main, la lisibilité du tout est aveuglante, la logique de la lecture éclairante, et la simplicité du propos salvatrice en ce temps où les enregistrements du Clavier bien tempéré proclament d’abord l’ego de leurs interprètes.

Deux étés plus tard, voici qu’il enregistre le Premier Livre. Miracle, il a trouvé l’instrument de son propos ! Le grand piano aux cordes parallèles de Stephen Paulello (que j’avais déjà tant aimé sous les doigts de Laurent Cabasso pour le disque des Toccatas) lui offre le rebond naturel, la fluidité éloquente, et cette clarté de source pure qui fait entendre toutes les nuances de la polyphonie, dans l’éclat comme dans le dolce (écoutez le Prélude en sol mineur, BWV 861 par exemple). Et si demain, le pianiste remettait l’ouvrage sur le métier, réenregistrant le Second Livre dans les conditions du Premier ? Vous pourrez en tout cas écouter les deux Livres dans le bon ordre à la salle du Conservatoire d’art dramatique de Paris le dimanche 17 octobre 2021 à 11h puis à 15h30.

Jérôme Granjon aime décidément les pianos singuliers, le grand Erard de concert choisi pour le programme de sonates françaises où il accompagne Saskia Lethiec le prouve, ses couleurs marquées, sa sonorité pleine, grenue, emportent les élans schumaniens de la Première Sonate de Fauré mais sait aussi trouver les sfumatos de la Sonate de Franck ou les élans plus capricieux de Saint-Säens (l’Allegretto, finement croqué).

Sur un si bel instrument, le violon modeste de Saskia Lethiec se garde de briller pour mieux émouvoir : ce violon de Louis Guersan que Jean-Marie Leclair aurait pu jouer (on le date de 1741), monté de cordes en boyaux est typique des instruments « domestiques » que l’on pratiquait dans les salons parisiens de la deuxième moitié du XIXe siècle. Comme tout récemment Théotime Langlois de Swarte et Tanguy de Williencourt pour leur proustien concert retrouvé, Jérôme Granjon et Saskia Lethiec nous transportent dans un autre temps pas si lointain, et pourtant assurément celui d’un autre monde.

LE DISQUE DU JOUR

Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Le Clavier bien tempéré,
Livre I, BWV 846-869

Jérôme Granjon, piano

Un album de 2 CD du label Anima Records ANM201201
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Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Le Clavier bien tempéré,
Livre II, BWV 870-893

Jérôme Granjon, piano

Un album de 2 CD du label Anima Records ANM180200001
Acheter l’album sur le site du label Anima Records, sur le site www.ledisquaire.com, ou sur Amazon.fr – Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com

Sonates françaises
Gabriel Fauré (1845-1924)
Sonate pour violon et piano No. 1 en la majeur, Op. 13
Camille Saint-Saëns
(1835-1921)
Sonate pour violon et piano No. 1 en ré mineur, Op. 75
César Franck (1822-1890)
Sonate pour violon et piano en la majeur, FWV 8

Saskia Lethiec, violon
Jérôme Granjon, piano (instrument : Erard)

Un album du label Cascavelle VEL1654
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Photo à la une : le pianiste Jérôme Granjon – Photo : © DR