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19 janvier 1965, Désiré-Emile Inghelbrecht se doutait-il qu’il montait sur le podium du Théâtre des Champs-Elysées pour la dernière fois ? Son cœur malade l’avait alerté plusieurs fois ; le 14 février, il s’arrêterait de battre.

Aucune fatigue ne paraît dans ce programme entièrement consacré à son autre compositeur fétiche avec Claude Debussy, Modeste Moussorgski, emporté avec une folle autorité dès Une nuit sur le Mont Chauve abrupte. Ils étaient peu nombreux en France à se dévouer pour la reconnaissance de l’auteur de Boris Godounov, Inghelbrecht fut l’un des premiers à rechercher, avec les difficultés qu’on suppose, les versions originales. On entend dans Une nuit sur le Mont Chauve comment il fait paraître derrière l’habillage au ton de légende voulu par Rimski-Korsakov/strong>, l’âpreté des timbres, la violence des accents qu’avait voulues Moussorgski.

Programme passionnant, qui entendait présenter au public français les deux visages du compositeur, opéra et orchestre, et aussi cette merveille que sont le cycle Enfantines (qu’on nommait alors « La Chambre d’enfant »), où paraît une magnifique Edith Stockhausen, mutine, inquiétante, narrative, merveille chantée en français, comme la rare et saisissante Destruction de Sennacherib – qui la dirigeait en 1965 sinon Inghelbrecht ? – ou les pages prises dans La Khovanchtchina et Boris Godounov où l’on retrouve le beau baryton de Bernard Demigny. Magnifique, son Ivan Khovanski !

Surprise, pour Boris Godounov, Inghelbrecht cherchant toujours dans le moins couru, s’en tient aux deux premières scènes de l’Acte polonais où face à la Marina conquérante et admirablement chantée de Micheline Grancher, manipulée avec art par le Rangoni sinistre de Bernard Demigny, le faux Dimitri de Jean Mollien se laisse griser par l’illusion de l’amour et du pouvoir.

Concert historique, restitué dans un son splendide, quatorzième volume d’une série remarquable dressant un hommage à ce chef légendaire dont Radio France, comme son éditeur EMI, négligent honteusement l’héritage.

LE DISQUE DU JOUR

Désiré-Emile Inghelbrecht, Vol. 14

Modeste Moussorgski (1839-1881)
Une nuit sur le Mont Chauve
La destruction de Sennacherib

Enfantines (version initiale)
Edith Stockhausen, soprano

La Khovanchtchina (4 extraits : Prélude. Aube sur la Moskova ; Entrée d’Ivan Khovanski avec les soldats Streltsy ; Chœur des Streltsy ; Danse des esclaves perses)
Bernard Demigny, baryton (Ivan Khovanski)

Boris Godounov, Acte III, Scènes 1 et 2 (version 1872)
Micheline Grancher, soprano (Marina) – Jean Mollien, ténor (Le faux Dimitri) – Bernard Demigny, baryton (Rangoni)

Chœur et Orchestre National de l’O.R.T.F.
Désiré-Emile Inghelbrecht, direction

Un album de 2 CD du label St-Laurent Studio YSLT-1132
Acheter l’album sur le site du label www.78experience.com

Photo à la une : le chef d’orchestre Désiré-Emile Inghelbrecht – Photo : © DR