Visages du sommeil

Les rêves tendres, la mort, les voluptés du repos, les abîmes des songes noirs, Anne Marie Dragosits conduit les splendeurs de son grand Clavecin Zell dans le monde entre baroque et Aufklärung, où se pressent toutes les contradictions du XVIIIe siècle.

L’idée même de sommeil renvoie à la tragédie lyrique et à l’omniprésence du style français dévié de l’art des luthistes qui se prolonge dans les œuvres des clavecinistes allemands, Christoph Graupner en tête, dont l’abondante œuvre de clavecin mériterait d’être plus courue, et qui fait entendre cette persistance dont son Sommeille de la Suite « Febrarius » ou dans celui de la Partita VII, alors que Johann Kuhnau, dans sa Sonata quarta compose un lamento qui pourrait être tiré d’une cantate italienne : cette Hiskia agonizante e risanato semble venir d’une autre planète, anticipant sur les sonates narratives qui feront la fortune de Dussek.

Entre deux mondes donc, cette claveciniste sensible et brillante dévoile les feux du grand clavecin signé par Zell en 1728 et restauré par Martin Skowroneck en 1973 – l’instrument est pieusement conservé au Musée de Hambourg -, éblouissant ce répertoire rare de ses couleurs si vives, faisant chanter les polyphonies dans ses registres contrastés, animant dans le foisonnement de sa richesse harmonique les libertés et les inventions de tout un pan de l’histoire de la littérature du clavecin.

Si elle goûte tant la variété que lui autorisent ces disques aux programmes transversaux, oserait-elle revenir à un album monographique ? – après tout, elle l’a bien fait voici quelques lustres pour Froberger – et toujours sur ce Zell miraculeux, elle pourrait nous offrir tout un disque consacré à Johann Caspar Fischer ? La grande Passacaille de la Suite « Uranie », qu’on croirait tirée d’un opéra de Lully, le commande.

LE DISQUE DU JOUR

Ich schlief, da träumte mir

Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788)
La Stahl & La mémoire raisonnée (Nos. 25 & 30, extraites des « Petites Pieces per il cembalo solo, Wq. 117 »)
An den Schlaf, Wq. 202
Variations sur « Ich schlief, da träumte mir »
Wilhelm Friedemann Bach (1710-1784)
Réveille, F. 27
Fantasia, F. 15
Christoph Graupner (1683-1760)
Sommeille (extrait de la Suite « Febrarius », GWV 110)
Sommeille (extrait de la Partita VII, GWV 107)
Johann Kaspar Fischer (1656-1746)
Musicalischer Parnassus – Suite No. 9 « Uranie »
(3 extraits : I. Toccata, IV. Sarabande, XI. Passacaglia)

Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Praeludium (Harpeggiando) en ut majeur, BWV 921
Komm süßer Tod (extrait du „Musicalisches Gesang-Buch, de Schemelli, 1736)
Johann Kuhnau (1660-1722)
Suonata quarta, « Hiskia agonizzante e risanato »
Johann Balthasar Kehl (1725-1778)
Wie schön leuchtet der Morgenstern

Anne Marie Dragosits, clavecin

Un album du label L’Encelade ECL2002
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Photo à la une : la claveciniste Anne Marie Dragosits – Photo : © DR