Métamorphose

Gregor Piatigorsky instilla à Prokofiev l’idée d’écrire un Concerto pour violoncelle, lui qui n’avait alors écrit pour l’instrument qu’une Ballade. On était au début des années vingt, Prokofiev se mit à l’ouvrage puis le remisa pour ne le reprendre qu’en 1938. Lev Berezovsky le créera à Moscou : la partition est étonnante, vraie création typique des audaces des années vingt, et plus étonnante encore à nos oreilles car, pour l’archet de Rostropovitch, Prokofiev en tira une autre œuvre, demeurée bien plus célèbre. En 1952, la Symphonie concertante qui surprit par ses roideurs le public des concerts soviétiques, fit totalement oublier le Concerto de 1938 qu’on peut cependant parfaitement entendre au travers de sa métamorphose.

Alban Gerhardt a voulu réunir les deux œuvres, les mettre en miroir, changeant la destination du chef-d’œuvre : le Concerto de 1938, enfant terrible des années vingt, prend sous son archet mordant une ampleur capricieuse qui culmine dans le Finale, où l’étrange le dispute au sinistre, pages fascinantes qui comptent au nombre des plus radicales du compositeur.

En comparaison avec cet atelier à ciel ouvert, le geste bien plus expansif de la Symphonie concertante, ses lignes plus sculptées, sa projection plus tranchante et ses développements plus logiques n’auront pas l’éloquence expansive qu’y mettait Rostropovitch. C’est qu’Alban Gerhardt ne cesse de voir en décalque les turbulences du Concerto. Peu importe, l’interprétation est superlative jusque dans son lyrisme teinté d’ironie, et pour les deux œuvres, Andrew Litton et son Orchestre Philharmonique de Bergen distillent toutes les fulgurances qu’y aura osées Prokofiev, et ils ont depuis bouclé chez BIS une intégrale des Symphonies amenée à faire date.

LE DISQUE DU JOUR

Sergei Prokofiev (1891-1953)
Concerto pour violoncelle et orchestre en mi mineur, Op. 58
Symphonie-Concerto pour violoncelle et orchestre en mi mineur, Op. 125

Alban Gerhardt, violoncelle
Bergen Philharmonic Orchestra
Andrew Litton, direction

Un album du label Hypérion CDA67705
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Photo à la une : le violoncelliste Alban Gerhardt – Photo : © Sim Canetty-Clarke