Chronique d’un génie

Misha Horenstein entretient la flamme du souvenir de Jascha, dont la discographie dispersée, majoritairement sous étiquette Vox, label aujourd’hui disparu après que Todd Landor a essayé de lui donner un second souffle à l’avènement du compact disc, aurait sombré corps et bien sans son enthousiasme.

Pour Pristine Audio, il aura initié avec Andrew Rose une grande série de rééditions piochant dans les titres Vox que Todd Landor n’avait pas réédités, peu à peu s’y sont ajouté des concerts qui auront révélé entre autre deux versions de la 5e Symphonie de Gustav Mahler, avec le Philharmonique de Berlin puis avec l’Orchestre Symphonique de Londres, document majeurs, Jascha Horenstein n’ayant pas gravé l’œuvre officiellement.

S’y ajoute aujourd’hui une nouvelle captation avec un orchestre que le chef russe chérissait particulièrement et avec lequel il entreprit une trop brève collaboration au soir de sa vie, le Symphonique de Göteborg. Lecture ample, sombre, pleine de caractère et où éclate tout le génie de cet interprète majeur de l’œuvre de Gustav Mahler. L’exactitude du style est imparable, l’évidence des tempos, l’espressivo des phrasés, l’abrasion des timbres, tout retrouve ici l’art expressionniste que les chefs pionniers proches du compositeur auront imposé, Walter, Mengelberg, Klemperer, mais surtout Oskar Fried. Horenstein réinscrivait l’œuvre au répertoire de la phalange suédoise qui ne l’avait plus jouée depuis les années quarante.

Pristine Audio divulgue les quatre concerts donnés en 1968 et 1969. Une merveilleuse Quatrième Symphonie de Mahler, plus libre, plus solaire, plus aventureuse que celle de sa gravure en studio où brillait dans le Finale une Margaret Price magicienne, surprendra par l’élégance absolue de son cantabile et la prestation idéale de Jennifer Vyvyan, soprano chérie du chef. En ouverture de ce concert du 25 janvier 1968, la Haffner, dirigée preste, où l’on peut entendre quelle discipline Horenstein savait imposer au quatuor dans les symphonies du classicisme viennois, écoutez seulement.

En grand apparat, un Premier Concerto Brandebourgeois éclatant ouvre la soirée du 5 décembre 1968, avant qu’une prodigieuse Sixième de Bruckner, ombreuse, emplie de paysages, ne rappelle qu’il fut un des apôtres de la renaissance des symphonies du Maitre de Saint-Florian. Son attention se porta tôt sur cette partition et elle sera encore au programme d’un de ses ultimes concerts en 1972 à Londres.

Sommet de cet ensemble de premières publications, et ajout majeur à sa discographie, la Grande de Schubert, emportée, fiévreuse, dansée, d’une ardeur folle où l’orchestre se surpasse, il faut l’entendre, l’œuvre y gagne une de ses toutes grandes versions. Durant la même soirée, le jeune Philippe Entremont donne une lecture explosive du Deuxième Concerto de Saint-Saëns, serti dans l’orchestre impérieux dont l’entoure le vieux chef. Admirable.

On connait la renaissance tardive de ce génie. Les phalanges londoniennes n’hésitèrent pas à l’inviter durant toute la décennie 1960, Horenstein renouait alors avec son art expressionniste, il dirigeait enfin à nouveau des orchestres à sa mesure. La BBC engrangea quantité de concerts, His Master’s Voice et Chesky quelques trop rares disques, mais Horenstein devait enregistrer ses plus beaux albums pour un petit label anglais, Unicorn-Kanchana, dont le directeur artistique professait un amour inconditionnel pour les œuvres de Gustav Mahler et de Carl Nielsen.

Dans des prises de son d’une qualité exceptionnelle, Horenstein et le Symphonique de Londres gravèrent des versions demeurées immortelles des Première (écoutez ce Naturlaut !) et Troisième Symphonies. L’éditeur y ajouta, post mortem, une 6e Symphonie (avec le Scherzo dirigé tel du Mozart comme il le demandait à l’orchestre lors des répétitions publiées en quatrième face du double microsillon hélas non reprises ici) avec l’Orchestre Philharmonique de Stockholm. Scribendum réédite une partie de ce legs – les Nielsen manquent hélas, le Panufnik, le Simpson, le disque de la Seconde Ecole de Vienne aussi – en repartant des bandes originales, une belle occasion pour les jeunes discophiles qui n’auront pas eu l’occasion de se procurer les fugitives premières éditions en CD : ils trouveront également ici une 2e de Brahms captée en concert à Copenhague, pastorale d’une poésie infinie (écoutez la coda de l’Allegro ma non troppo), et le célèbre couplage Tod und Verklärung/Mathis der Maler.

Le panorama offert par la compilation de Profil/Hänssler (dans une qualité de reports assez exceptionnelle, écoutez les Concertos de Ravel) est autrement plus large, documentant l’art d’Horenstein du 78 tours (les Kindertotenlieder avec Rehkemper en 1928, première gravure de l’œuvre restée justement célèbre), jusqu’à l’écho d’un concert londonien de 1961 : Mahler toujours pour une Troisième Symphonie qui ne doublonnera pas l’enregistrement de studio, ne serait-ce que par la présence d’Helen Watts.

D’autres gravures de concert documentent la puissance suggestive de cette baguette : à la Radio française, quelle tempête ouvre le Premier Concerto de Brahms dont le piano de Claudio Arrau émergera en magicien. Horenstein savait ce qu’accompagner suppose d’attention à l’autre et de capacité à l’inspirer, ce que prouve l’incendiaire version rapsode du Deuxième Concerto pour violon de Bartók où il dialogue avec le jeune Ivry Gitlis, gravure miraculeuse et sommet de ses enregistrements Vox majoritairement documentés dans cette généreuse boîte : la 8e de Bruckner, la Symphonie « Faust » de Liszt, les accompagnements, persiffleurs ou horrifiques, des Concertos de Ravel pour Vlado Perlemuter, l’élan rapace de l’Eroica, l’érotisme morbide de Verklärte Nacht affirment la puissance de cet art qui saisissait à mains nues, crument, la vérité des œuvres.

LE DISQUE DU JOUR

Horenstein in Gothenburg, Vol. 1

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Idomeneo, K. 366 – Ouverture
Camille Saint-Saëns
(1835-1921)
Concerto pour piano et orchestre No. 2 en sol mineur, Op. 22
Franz Schubert (1797-1828)
Symphonie No. 9 en ut majeur, D. 944

Philippe Entremont, piano
Orchestre Symphonique de Göteborg
Jascha Horenstein, direction
Un album du label Pristine Audio PASC610
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Horenstein in Gothenburg, Vol. 2

Gustav Mahler (1860-1911)
Symphonie No. 5

Orchestre Symphonique de Göteborg
Jascha Horenstein, direction
Un album du label Pristine Audio PASC613
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Horenstein in Gothenburg, Vol. 3

Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Concerto brandebourgeois
No. 1 en fa majeur, BWV 1046

Anton Bruckner (1824-1896)
Symphonie No. 6 en la majeur, WAB 106

Orchestre Symphonique de Göteborg
Jascha Horenstein, direction
Un album du label Pristine Audio PASC615
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Horenstein in Gothenburg, Vol. 4

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Symphonie No. 35
en ré majeur, K. 385

Gustav Mahler (1860-1911)
Symphonie No. 4

Jennifer Vyvyan, soprano
Orchestre Symphonique de Göteborg
Jascha Horenstein, direction
Un album du label Pristine Audio PASC620
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The Art of
Jascha Horenstein

Johannes Brahms
(1833-1897)
Symphonie No. 2 en ré majeur, Op. 73
Danish Radio Symphony Orchestra

Gustav Mahler (1860-1911)
Symphonie No. 1
Symphonie No. 3*
Richard Strauss (1864-1949)
Tod und Verklärung, Op. 24
Paul Hindemith (1895-1963)
Mathis der Maler – Symphonie
*Norma Procter, contralto
*Ambrosian Singers*Wandsworth School Boys Choir
London Symphony Orchestra

Gustav Mahler (1860-1911)
Symphonie No. 6
Stockholm Philharmonic Orchestra

Jascha Horenstein, direction
Un coffret de 5 CD du label Scribendum SC511, reprenant les couvertures originales des éditions princeps en microsillon Unicorn-Kanchana
Acheter l’album sur le site du label Scribendum ou sur Amazon.fr

Jascha Horenstein
Reference Recordings

Gustav Mahler (1860-1911)
Symphonie No. 3
Helen Watts, contralto
Highgate School ChoirOrpington Junior Singers
London Symphony Orchestra and Chorus

Gustav Mahler (1860-1911)
Symphonie No. 1
Anton Bruckner (1824-1896)
Symphonie No. 8 en ut mineur, WAB 108
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Symphonie No. 3 en mi bémol majeur, Op. 55 « Eroica »
Béla Bartók (1881-1945)
Concerto pour violon et orchestre, Sz. 112*
*Ivry Gitlis, violon
Leoš Janáček (1854-1928)
Sinfonietta, JW 6/18
Taras Bulba, JW VI/15
Pro Musica Orchester Wien

Paul Hindemith (1895-1963)
Mathis der Maler – Symphonie
Orchestre Radio-Symphonique de Paris

Richard Strauss (1864-1949)
Don Juan, Op. 20
Tod und Verklärung, Op. 24
Richard Wagner (1813-1883)
Lohengrin, WWV 75 – Prélude de l’Acte I
Tristan und Isolde, WWV 90 – Prélude de l’Acte I
Bamberger Symphoniker

Max Bruch (1838-1920)
Schottische Fantasie, Op. 46
David Oistrakh, violon
London Symphony Orchestra

Igor Stravinski (1882-1971)
L’Oiseau de feu – Suite 1919
Arnold Schönberg (1874-1951)
Verklärte Nacht, Op. 4
Kammersinfonie, Op. 9
Richard Wagner (1813-1883)
Eine Faust-Ouvertüre, WWV 59
Franz Liszt (1811-1886)
Eine Faust Symphonie (in drei Charakterbildern), S. 108*
*Ferdinand Koch, ténor
Südwestfunk-Sinfonieorchester Baden-Baden

Maurice Ravel (1875-1937)
Concerto pour piano et orchestre en sol majeur, M. 83
Concerto pour la main gauche en ré majeur, M. 82
Vlado Perlemuter, piano
Orchestre de l’Association des Concerts Colonne

Johannes Brahms (1833-1897)
Concerto pour piano et orchestre No. 1 en ré mineur, Op. 15
Claudio Arrau, piano
Orchestre National de la R. T. F

Gustav Mahler (1860-1911)
Kindertotenlieder
Heinrich Rehkemper, baryton
Orchester der Staatsoper Berlin

Jascha Horenstein, direction
Un coffret de 10 CD du label Hänssler/Profil PH19014
Acheter l’album sur le site du label Hänssler/Profil, sur le site www.uvmdistribution.com, ou sur Amazon.fr

Photo à la une : le chef d’orchestre Jascha Horenstein – Photo : © DR