Un nouvel élu pour l’opus majeur où Ravel inventa son piano ? Oui. Les Noctuelles hallucinées que Michael Brown fait crier dans son clavier en stupéfieront plus d’un. La pièce la plus insaisissable, et d’une vraie difficulté autant pour les doigts que pour l’intellect, de tout le piano de Ravel, trouve ici une proposition qui la fait entendre sous un autre angle : du grand piano moderne, comme le manifeste qui en 1905 était ce que l’on pouvait écrire de plus moderne, de plus singulier.
Les Oiseaux tristes qui suivront auront aussi un envol fulgurant, avec d’âpres coups d’ailes instables avant que la torpeur d’une petite musique morbide ne vienne les faire encore roucouler doucement comme la colombe des Nuits d’été de Berlioz, et écoutez la dispersion finale, mystérieuse et dorée avant l’ultime torpeur. Barque impondérable dont le pianiste souligne d’emblée l’entre-cloches, les doigts volent sur ce clavier irréel, mais soudain le flot s’ouvre et une créature monstrueuse d’Hokusai semble en surgir. Alborada de vrai guitariste, racée, cambrée, grotesque absolument pas, cela file comme chez Lipatti, et claironne avec une ardeur de coq : les notes répétées trépignent, l’épisode central ne s’alentira guère, sa habanera interrompue par le récitatif recadrant à chaque fois le tempo. L’horloger est bien là, mais s’effacera pour une Vallée des cloches où dans le rêve s’infuse le sinistre, puis ce chant comme un regret. Toute grande version qui dans les récentes rejoint celles de Severin von Eckardstein et d’Alexander Volodin, le premier plus lumineux, le second plus sombre encore.
Ensuite Ravel après Ravel ? Non, Medtner, et vingt ans plus tard. Une suite de variations sur le chant d’une nymphe qui s’échappe sur un trille. A l’instar de Miroirs de Ravel, cet Op. 47 forme le cycle le plus insaisissable qu’ait produit Nikolai Medtner, sa plume y est moins bavarde qu’ailleurs, ses portées plus aérées, et pourtant tout son art y paraît, rondes russes stylisées (le Caprice), tableaux évocateurs (In the Woods), commentaires ironiques (Feathered Ones), saillies (Gomes) et fusées (Elves), tout un univers de pure fantaisie qui exige du pianiste des mains d’elfes et des bras de centaure, le pianiste en profitant pour graver en première mondiale deux variations récemment découvertes et, suivant les notes de Medtner qui propose plusieurs possibilités d’ordonnancement des variations, réorganisant le cahier pour en tirer un récit dramatique.
Soudain, l’œuvre prend enfin visage et corps, Michael Brown assumant cette plongée dans un conte noir, retrouvant dans l’onirisme diabolique de Medtner les imaginations désespérées de Ravel. Sacré pianiste qui nous précipite dans ce jeu à double miroir. Instrument et prise de son somptueux.
LE DISQUE DU JOUR
Maurice Ravel (1875-1937)
Miroirs, M. 43
Nikolai Medtner (1880-1951)
Seconde Improvisation (en forme de variations), Op. 47
Michael Brown, piano
Un album du label First Hand Records FHR78
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Photo à la une : le pianiste Michael Brown – Photo : © DR