Evidence

Les trois dernières ? Non, Nikolai Lugansky commence son voyage chez l’ultime Beethoven par la la majeur dont le portique sous ses doigts a déjà des airs d’Arietta. Après tout, c’est ici, avant la Hammerklavier, que Beethoven découvre de nouveaux mondes et suggère même un nouvel instrument.

Le dolce des timbres, la lumière du phrasé s’ombreront rapidement, Lugansky introduit une tension en suspendant la respiration, étrange manière, assez fascinante. La Marche éclate soudain, rapace, mordante dans le clavier, et impérieuse. Qui la faisait ainsi jadis, si moderne et carrée ? Maurizio Pollini dans sa légendaire gravure pour Deutsche Grammophon. Puis la prière du Langsam, plus inquiète que recueillie, quelle belle idée jusque dans cette manière à nouveau d’arrêter le flot, de le suspendre dans un accent, dans une infime désinence harmonique. Fascinant, la conduite dolce, exactement le con affetto demandé par Beethoven, qui mène à la reprise du thème avant que le trille ne nous immerge dans un Finale plein de fifres et de trompettes.

Magnifique vraiment, comme le seront au même degré d’inspiration et de réalisation la 30e et l’ultime, Lugansky y osant une simplicité qui va au cœur du discours beethovénien sans le moindre effet : c’est la nuance piano qui creusera l’espace vertigineux que Beethoven ouvre ici, le pianiste y célébrant un poème. Quel lyrisme, comme cela chante, et empli d’harmoniques la grande caisse du beau Steinway de la Grande Salle du Conservatoire Tchaïkovski, Maximilien Ciup saisissant sa belle acoustique naturelle où les timbres portent si loin.

Le geste sait aussi se faire impérieux lorsqu’il le doit, écoutez le fugato Vivace du troisième mouvement de l’Op. 109, mais jamais rien n’assène, Lugansky préférant l’élévation. L’évidence de ces trois Sonates mise en lumière avec tant d’art laisse espérer une suite, la Hammerklavier, l’Opus 110 parachèveraient ce retour à Beethoven, dont Lugansky nous aura donné voici bien des années seulement trois autres Sonates. Les affinités électives y paraissaient déjà, le pianiste aura trop renoncé devant le monument des trente-deux : le temps est venu.

LE DISQUE DU JOUR

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Sonate pour piano No. 28 en la majeur, Op. 101
Sonate pour piano No. 30 en mi majeur, Op. 109
Sonate pour piano No. 32 en ut mineur, Op. 111

Nikolai Lugansky, piano

Un album du label harmonia mundi HMM902441
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Photo à la une : le pianiste Nikolai Lugansky – Photo : © DR