Retrouvé ?

On oublie trop que l’histoire de l’opéra fut d’abord l’histoire des livrets. La destinée de celui écrit par Domenico Lali pour Vivaldi, cet Argippo à l’intrigue mogol que Vienne vit en 1730 un peu avant Prague, vous sont contées par Reinhard Strohm dans l’excellente note de présentation de l’album.

Si le poème de Lali a survécu, l’opéra de Vivaldi s’est perdu jusqu’au jour, assez récent, où l’on retrouva à Darmstadt une partition sans auteur et sans titre mais dont la nomenclature des rôles indiquait une probable paternité. Las, l’ouvrage se révéla contenir des airs clairement identifiables dus à la plume de Hasse, Galeazzi, Fiore, mais aussi très probablement certains de la plume de Vivaldi, qui aurait probablement vendu cet Argippo composite comme il le fit pour d’autres pasticcios, pratique courante que tout le récent Il Tamerlano dans la même série illustrait.

Mais la complexité psychologique des personnages, la densité dramatique de cet Argippo désigne un ouvrage qui échappe au genre du collage propre à ce type de réalisation, il y a dans ce flot d’airs tour à tour brillants ou mélancoliques une qualité dramatique et une cohérence stylistique qui ne peut qu’étonner.

Vivaldi (si c’est bien lui) aurait-il réalisé un opéra aux emprunts certes importants, mais dont l’assemblage constituait à ses yeux une œuvre à part entière et dans lequel il aurait glissé sa plume un peu partout ? Comme le manuscrit de Darmstadt est évidemment une copie, on n’en aura jamais la certitude, mais on gagne un ouvrage formidable, regorgeant de musiques splendides, avec pour le rôle-titre noté pour un soprano une écriture évidemment destinée à un castrat.

C’est ici que la proposition de Fabio Biondi me déconcerte. Pourquoi ne pas y avoir osé, avec les transpositions possibles, un soprano masculin, qui aurait triomphé des tessitures effrayantes où Emőke Baráth vient se briser la voix ? C’est un Jaroussky qu’il aurait fallu ici.

Baste des réserves, tous les autres sont splendides, à commencer par la basse chantante de Luigi De Donato, le Silvero de Marianna Pizzolato dont les airs galants sont des merveilles, l’invention de ceux d’Osira trouvant dans le soprano fluide de Marie Lys des incarnations qui sont la musique même.

Ce qui achève de ranger Argippo très haut dans le parnasse lyrique du début du XVIIIe siècle est le rôle de Zanaida, clairement écrit pour un castrat, d’une difficulté folle. La psyché de la fille du Grand Mogol est tout entière enclose dans sa vocalité flamboyante, qui la montre dans une agitation névrotique allant de l’abattement à la fureur. Le contralto ardent de Delphine Galou s’en saisit, imposant un personnage qu’on croit incarner là, devant soi. Ne serait-ce que pour elle, cet opéra supposé du Prêtre Roux doit être entendu.

LE DISQUE DU JOUR


Antonio Vivaldi (1678-1741)
Argippo

Emőke Baráth, soprano (Agrippo)
Marie Lys, soprano (Osira)
Delphine Galou, contralto (Zanaida)
Marianna Pizzolato, contralto (Silvero)
Luigi De Donato, basse (Tsifaro)

Europa Galante
Fabio Biondi, direction

Un album de 2 CD du label naïve classique OP7079
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Photo à la une : le violoniste et chef d’orchestre Fabio Biondi – Photo : © DR