Le maître du temps

Sunwook Kim entre après l’orage en élargissant le temps, ou plutôt en le modelant. Il n’entre pas droit, où en pressant comme certains pour affirmer que le concerto est d’abord leur pré-carré, territoire pour soliste. Non, il composera, son oreille de musicien savourant dans l’étoffe d’un clavier subtilement nuancé les timbres si singuliers des Dresdois : son piano lui aussi sait se parer d’obscures clartés.

Du coup, les tensions de cette vaste symphonie seront remises dans les échanges du concerto et pour les éclats garderont toujours cette fluidité chambriste, préférant les fusées aux fureurs. C’est mettre dans le manifeste du jeune Brahms déjà la poésie d’une certaine maturité, porter un éclairage comme à rebours, et cela fascine, renouvelle l’écoute jusque dans un Finale qui littéralement danse, envolant ses hungarismes.

Pourtant, la vraie merveille du disque n’est pas au concert, mais pour le studio, trois mois auparavant : Sunwoo Kim joue un discret Steinway dans la Mendelssohn-Saal du Gewandhaus de Leipzig, Aki Matusch plaçant ses micros à une distance raisonnable. Quelle lumière se distille dans ce cahier qu’on assombrit volontiers, le pianiste préférant l’immerger dans un été indien où de folles couleurs viennent dorer les mélodies des Intermezzi, et donner un ton de madrigal, plutôt inédit, à la Ballade.

Echappé de son Quatuor de Jérusalem, Amihai Grosz a choisi de marier son alto avec le beau meuble de Sunwoo Kim. Grand bien lui fait. Mais c’est le pianiste qui, dans l’Arpeggione de Schubert, dira dès les premières mesures, et conduira, éprouvant les méandres du discours mais les dirigeant : les rythmes sont à lui, et quasiment le discours. Admirable, Amihai Grosz de son archet envole le chant, créant tout un univers de poésie rapsode qui dans le cadre du piano fait entrer des paysages comme inventés en rêve.

L’équilibre sera plus serré dans la Sonate de Chostakovitch, les deux aimants iront se mordre l’un l’autre (l’Allegretto, récupéré des Joueurs de Gogol), mais que de cendres dans l’Adagio !

Kaddish transcendantal, Yiskor aurait mieux trouvé sa place à la coda de l’album, et l’Arpeggione certainement plus heureuse de l’ouvrir.

LE DISQUE DU JOUR

Johannes Brahms (1833-1897)
Concerto pour piano et orchestre No. 1 en ré mineur, Op. 15
6 Klavierstücke, Op. 118

Sunwook Kim, piano
Staatskapelle Dresden
Myung-Whun Chung, direction
Un album du label Accentus Music ACC30501
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Ödön Pártos (1907-1977)
Yizkor (In Memoriam)
Franz Schubert (1797-1828)
Sonate pour arpeggione et piano en la mineur, D. 821
Dmitri Chostakovitch (1906-1975)
Sonate pour alto et piano en ut majeur, Op. 147

Amihai Grosz, alto
Sunwook Kim, piano
Un album du label Alpha 634
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Photo à la une : le pianiste Sunwook Kim – Photo : © DR