Vienne et au-delà

Retrouvera-t-on jamais les cinq premiers Quatuors qu’Ernst Toch écrivit avant ses dix-huit ans ? Adolescent, il avait voué tout son art à cette formation, sa naissance et son éducation viennoises au paradis du quatuor le désignait comme un des nouveaux maîtres du genre, à l’écoute des sirènes de l’avant-garde mais loin d’en être prisonnier : durant ses trois quatuors écrits autour de ses vingt ans, la persistance d’un paradis brahmsien rayonne, produisant des œuvres merveilleuses où dans la touffeur des polyphonies, les arabesques des contrechants, des harmonies dorées comme le plus bel automne, distillent des pastorales infinies. Ah, si ce temps heureux avait pu perdurer !

Mais non, la Grande Guerre vint, Toch en vit de près les horreurs sur le front italien, le 9e Quatuor (1919) grinçant tout un monde de spectres, s’écharpant dans une atonalité expressionniste qui est tout sauf un système.

Le quatuor restera la colonne vertébrale de son catalogue, les 10e et 11e, écrits à Mannheim, capturant la fièvre, l’insubordination anarchisante de l’entre-deux-guerres en Allemagne. L’exil américain consommé, il reviendra au genre en 1946, écrivant le chef-d’œuvre de la série, le 12e, où l’ombre des ultimes quatuors de Beethoven impose un langage hautain.

L’ultime opus écrit pour les quatre cordes (13e, 1954), impressionne par sa roideur, son humeur mordante, son ton radical où se résume tout un pan de l’histoire du quatuor viennois, avec toujours l’ombre de Beethoven mais aussi comme un repentir : jamais Ernst Toch n’aura été en ses quatuors aussi proche de ceux écrits par Zemlinsky et Schönberg bien des décades plus tôt.

Les deux formations qui se partagent cette intégrale sont impeccables, même si j’ai une légère préférence pour le Quatuor Verdi, pour leur sonorité ample et ailée à la fois.

Par quel opus commencé ? Par le 6e Quatuor, le tout premier à avoir survécu, qui s’ouvre sur un solo de violon, peut-être le plus inventif de la série, œuvre hardie et tendre comme l’était cet adolescent si doué.

LE DISQUE DU JOUR


Ernst Toch
(1887-1964)
Quatuor à cordes No. 7
en sol majeur, Op. 15

Dedication
Quatuor à cordes No. 10,
Op. 28

Quatuor à cordes No. 11,
Op. 34

Quatuor à cordes No. 13, Op. 74
Buchberger Quartett

Quatuor à cordes No. 8 en ré bémol majeur, Op. 18
Quatuor à cordes No. 9 en ut majeur, Op. 26
Quatuor à cordes No. 6, Op. 12
Quatuor à cordes No. 12, Op. 70
Verdi Quartett

Un coffret de 4 CD du label CPO 555351-2
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Photo à la une : le compositeur Ernst Toch, avec sa fille – Photo : © DR