Prières

Elle le jouait toujours pour elle-même d’abord, y revenant sans cesse, l’essayant plusieurs fois au disque, mais ne s’y trouvant libre absolument qu’en concert. À Helsinki, ce soir d’avril 1993, tout sera une évidence, le tempo qui sait porter dans le Steinway, et tous les timbres qu’elle y met, et l’ampleur soudaine de l’orgue, la respiration des polyphonies qui chantent et dont les sons flottent comme des échos dorés, la rumeur de la main gauche qui ouvre les portes d’un autre monde, le chant poétique de la main droite regardant vers un autre encore.

Car Tatiana ne joue pas ici, elle prie, babouchka orante dont le piano est un bréviaire. Ce monde de répétitions variées, cette perfection géométrique, cette ascèse deviennent sous ses doigts un rébus métaphysique doublé d’une divagation poétique.

Le public suspendu à cette hypnotiseuse accroît le mystère du silence, aura-t-il noté les deux brèves absences de la pianiste (Nikolayeva jouait l’œuvre toujours de mémoire) qui, six mois plus tard, s’effondrera victime d’une attaque en interprétant les Préludes et Fugues de Chostakovitch ?

Cet Art où la fugue devient poème me bouleverse.

LE DISQUE DU JOUR

Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Die Kunst der Fugue,
BWV 1080

Tatiana Nikolayeva, piano
Enregistré à Helsinki, à l’Académie Sibelius, le 26 avril 1993

Un album du label First Hand Records FHR95
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Photo à la une : la pianiste Tatiana Nikolayeva – Photo : © First Hand Records