Jeu à cinq

Le même Beethoven ? Un abîme disjoint la partition heureuse, qui flâne comme une sérénade de Mozart du Quintette en ut majeur (1801) et le sombre, intense, explosif Quintette en ut mineur. Pourtant, si ces deux opus sont distants, ils le sont en partie à la renverse, le second précédent même le premier de six ans, du moins dans son état premier.

Beethoven, piqué au vif par une transcription de son Troisième Trio avec piano pour un quintette à deux altos que lui avait envoyé un musicien amateur plein d’audace, Joseph Kaufmann, décida d’y remettre lui aussi sa plume, proposant sa propre version pour la même formation. Après tout, Haydn avait froncé les sourcils devant le caractère si singulier de ce Trio ombreux face à ses deux frères cadets de l’Opus 1.

En 1819, Beethoven ajoutait ce nouveau Quintette à son catalogue sous le numéro d’Opus 104, il était brièvement revenu à cette formation pour une courte Fugue, prétexte à une danse de cordes que les WDR ajoutent en coda de leur album si pertinent, même si l’on peut regretter qu’ils ne l’aient pas complété avec la transcription initiale tiré du Trio Op. 1 No. 3 par Joseph Kaufmann : la comparaison entre le travail de l’amateur et la réponse du compositeur n’aurait pas manqué de sel, et, qui sait, aurait réservé probablement son lot de suprises.

Pour la sérénade en quatre mouvement de l’ut majeur, les WDR soignent la touche, enrobent les archets d’un peu de sucre, mais ils font aussi sentir derrière les paysages des replis mélancoliques, toute une certaine poésie. Mais quelle tension, quel lyrisme foisonnant dès l’Allegro con brio du Quintette en ut mineur ! Ils font entendre et l’ardeur conquérante de l’original, et la radicalisation que Beethoven en aura déduite dans son élargissement au quintette.

Le ton passionné du discours, l’irruption des éléments archaïsants que violentent la liberté des motifs, l’invention des échanges, l’instabilité des tonalités, les traits fusants, l’ébullition harmonique, me font songer à Schubert plus qu’à Mozart. La conduite subtile des WDR souligne qu’ils ont scruté l’original pour trio afin de reproduire avec leurs cinq archets la liberté conquérante de cet opus de jeunesse où Beethoven savait le degré de son génie.

S’ils jouent tels des chambristes chez Beethoven, les WDR adoptent un ton de symphonistes dans les deux Quintettes de Brahms. Après tout, ce sont, autant que les Sextuors, des « Kammersymphonie » que Schönberg regardera de près.

La belle prise de son des ingénieurs de la WDR, également aux manettes de celles de l’album Beethoven, est aérienne, donnant de l’espace aux envolées du Quintette en sol majeur, plein d’échappées belles, de paysages, bref, si puissamment visuel.

Ils ont éloigné les micros qu’ils avaient rapprochés pour saisir le brasier beethovénien, et soudain l’élan de cet ensemble de virtuoses convertis à la sonorité orchestrale éclate autant dans le soleil de l’Opus 111, ultime giocoso du dernier Brahms, que dans les confidences tour à tour tendres ou douces-amères de l’Opus 88.

À force d’entendre ces deux disques, ils sont devenus dans mon esprit une paire parfaite.

LE DISQUE DU JOUR

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Quintettes à cordes en ut majeur, Op. 29
Quintettes à cordes en ut mineur, Op. 104
Fugue en ré majeur, Op. 137

WDR Symphony Orchestra Cologne Chamber Players
Un album du label Alpha 585
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Johannes Brahms (1833-1897)
Quintettes à cordes No. 1 en fa majeur, Op. 88
Quintettes à cordes No. 2 en sol majeur, Op. 111

WDR Symphony Orchestra Cologne Chamber Players
Un album du label Pentatone 5186663
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Photo à la une : © Alpha Classics